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"Tiens ! Une bande de vieux ringards ressortis de la naphtaline" diront certains ! Bon, pour le terme "vieux ringards" je ne peux plus rien dire… A vous de voir si vous êtes intolérants et en faveur du fossé des générations….
Fin 1991, Procol Harum avait été plutôt décevant pour son retour avec l'album "The prodigal stranger", réintégrant les vétérans Matthew Fisher (orgue Hammond) et Robin Trower (guitare) lesquels avaient quitté le groupe en 69 pour le premier, en 71 pour le second… ça faisait déjà plus de 20 ans à l'époque.
Si Trower n'a jamais voulu refaire de tournée avec le groupe, il n'en fut pas de même pour Fisher et Procol Harum a joué de nombreux concerts un peu partout depuis plus de 10 ans, parfois sous le nom de Procul Harum (sans doute un peu pour rire car c'est le mot latin correct, et ça veut dire "au-delà des choses"), avec une formation stable depuis longtemps, constituée de Geoff Whitehorn à la guitare, de Mark Brzezicki à la batterie (Big Country, Fish) et de Matthew Pegg à la basse (oui, le fils de Dave Pegg, bassiste de Fairport Convention et Jethro Tull, qui a aussi participé à un album du Tull en 91).
Bien sûr, il y a eu entre-temps un album plutôt passé inaperçu baptisé "The long goodbye", mais on ne peut pas dire que ce soit un véritable album de Procol Harum. Soit dit en passant, il s'agit là d'un album absolument superbe, indispensable à tous les amateurs du groupe et notamment de son côté le plus orchestral…. A part Brooker qu'on retrouve essentiellement au chant et pas trop au piano, les membres du groupe n'interviennent que très occasionnellement. Magnifique album-compilation, avec des versions symphoniques somptueuses de 11 morceaux de PH et un morceau issu de la petite carrière solo de Brooker (celui qui donne son titre à l'album d'ailleurs), quelques fameux invités (Jerry Hadley, un ténor anglais célèbre, James Galway à la flûte, Tom Jones ! ).
Bien qu'arrivant 12 ans plus tard que son prédécesseur, "The well's on fire" n'est pas de la même trempe. Le groupe a eu l'occasion de jouer de nombreux morceaux nouveaux en concert au fil des années. Ce nouvel album regroupe donc probablement le meilleur de ce que Brooker et occasionnellement Matthew Fisher ont pu composer depuis tout ce temps. Et le résultat est un des meilleurs albums de Procol Harum, pas moins. "The well's on fire" comprend 13 morceaux et s'étale sur une heure, de quoi rassasier les amateurs d'albums longs. Il bénéficie d'un son impeccable, ayant été enregistré avec un collaborateur du batteur de Queen, Roger Taylor (qui chante d'ailleurs des chœurs sur un titre).
Nul orchestre ne vient soutenir le groupe, ce qui est dommage mais après tout, le premier album éponyme de Procol Harum en 1967 n'en a pas eu besoin pour être une grande réussite. Et d'ailleurs, ce nouvel album rappelle un peu ce dernier par certains aspects : ici, à part quelques rares titres peut-être un peu commerciaux, on trouve ce mélange surprenant de mélodies un peu passéistes, d'influences classiques et de blues, avec toujours ce qui fut leur marque de fabrique : les arrangements avec à la fois le piano et l'orgue Hammond. L'orgue dont Matthew Fisher fait varier la sonorité, depuis le son un peu rugueux "à roue phonique" - que la plupart des claviéristes utilisent depuis des lustres ! - jusqu'à un son d'orgue d'église, en passant par une sorte d'orgue de barbarie, presque un orgue de fête foraine sur les titres réminescents d'une autre époque.
Les autres musiciens ne sont pas de simples faire-valoir. Geoff Whitehorn est un guitariste blues, ainsi que l'ont toujours été les guitaristes de PH, mais meilleur que Mick Grabham, plus incisif, plus précis, avec un son profond et chaleureux, un élément important du groupe depuis plus de 11 ans. De même, Mark Brzezicki remplace le style si particulier du regretté B.J Wilson avec beaucoup de classe… enfin un batteur qui ne sacrifie pas à la mode, doté d'un jeu à la fois sobre et riche et d'un son plein et feutré.. superbe.
Plus que les musiciens, ce qui fait la force de l'album, ce sont les airs, les mélodies. Et celles-ci sont particulièrement inspirées, tout simplement. Les textes sont assez variés mais souvent réalistes, parfois touchants (toujours signés Keith Reid, comme depuis toujours !). Parmi les grandes réussites, on peut citer "wall street blues", "shadow boxed" pour les blues, "a robe of silk " qui rappelle un air du tout premier album dans un style un peu classisant et léger, et puis trois perles magnifiques, mélancoliques, presque solennelles, où la voix de Brooker, certes un peu rauque mais tellement chaleureuse, émouvante, fait mouche à tout les coups : "this world is rich (for stephen maboe)", "fellow travellers" (basé sur un thème de Haendel) et puis surtout "emperor's new clothes" qui rappelle fortement le chef d'œuvre "a salty dog". L'album s'achève en beauté avec un long instrumental aux consonances classiques, "weisselklenzenacht (the signature)", traversé par les superbes solos de Whitehorn, un peu comme "repent walpurgis" qui concluait le premier album sur un thème emprunté à JS Bach. Mais ces nouveaux morceaux ne sont pas des parodies des vieux morceaux du groupe. Les réminiscences sont subtiles, et on peut simplement parler de clin d'œil au passé dans ce qu'il avait de meilleur.
Il aura fallu bien longtemps pour le voir arriver mais le nouveau Procol Harum, même s'il ne s'engage plus vraiment sur le sentier de "l'art rock symphonique" rappelle ce que ce groupe souvent mésestimé a apporté à la musique. Recommandé à tous et pas seulement aux nostalgiques.
Marc Moingeon
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