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Pour sa 5ème réalisation dont on peut déjà dire qu'elle fera date, Sylvan nous offre son premier concept-album dont le sujet est un père découvrant la vie de sa fille disparue au travers de son journal intime. Un peu plus de 70 minutes pour 15 plages dont trois (les 4,6 et 9) font de une à deux minutes et servent de transition de façon plutôt atmosphérique. Deux morceaux calmes débutent l'album installant par des bruitages et des chœurs d'enfants l'ambiance qui règnera tout au long du disque. Que ce soit sur "in chains" ou "pane of truth" Sylvan maîtrise l'art de créer la musique ad hoc au message émotionnel à faire passer, la musique est dense et aérée à la fois. On sent une facilité et une fluidité dans l'écriture, aucun instrument ne se cherche, c'est pensée réflexe, une faculté à produire des climats et à les colorer de façon idoine, c'est proprement exceptionnel. Ca semble simple, ça ne prend jamais la tête et pourtant la musique de Sylvan est très souvent à tiroirs, superposée, on ne s'en aperçoit jamais, embarqués que l'on est. "Forgotten virtue" démontre que leur faculté de peinture est telle qu'il semble aisé d'imaginer les images du concept qui y est décrit. Plus qu'un chanteur d'exception Marco Glühmann se révèle être un vrai comédien. Car c'est presque à un exercice de doublage auquel il s'adonne. Aux images il doit y apposer les dialogues. Comme en plus, vocalement il me semble que sa tessiture s'est encore étendue, vous pouvez imaginer la palette de facettes qu'il peut décrire.
Quelques riffs de guitares ravageurs permettent de maintenir la tension nécessaire à la sensation de malaise dans lequel on veut soumettre l'auditeur.
"The colors changed" est un morceau tout de force retenue. Sylvan à une prédilection pour les mid-tempo et à la différence de "X Rayed" (l'album précédent) où ces mid-tempo me semblaient parfois creux, celui-ci est plein de notes, plein d'émotions, plein d'histoires....
En plus de pouvoir créer des climats à volonté, Sylvan possède son univers propre, ne peut être comparé à personne et ne sonne que comme Sylvan. De plus il ne se copie pas (n'est-ce pas Flower Kings !).
Dans "questions", tout comme dans d'autres morceaux précédents, des bruitages, des samples de rires ou de disputes ajoutent à la véracité, à la matérialisation des sujets. Il y a plein de nouveauté de sons et de structures dans cet album, on dirait que chacun s'est lâché et qu'il s'y est tout autorisé tout en respectant le balisage du script. C'est le propre des grands groupes et des grands concept-albums ("The lamb", "Subterrenea"). Regardez comment le propos de ces albums était différent des schémas habituels de leurs auteurs et pourtant leur musique y a gagné en originalité et en liberté. C'est bien évidemment le cas ici, c'est époustouflant.
Avec "answer to life" écoutez comment un rythme peut prévaloir sur la mélodie et qu'il peut être aussi porteur d'émotions surtout si l'habillage mélodique suit aussi aisément. Ce morceau même s'il n'est pas le meilleur à mon sens en est un véritable exemple et il montre le niveau du groupe aujourd'hui.
"Message from the past" intimiste et très expressif en émotions y entend Marco Glühmann partageant sa voix pleine de délicatesse avec un piano et un violon. A contrario dans "the last embrace" on retrouve pour la première et seule fois ce côté Red Hot des albums précédents, surtout dans la façon de chanter mais enfin digérée pour une force et une violence bien supérieures. Mais écoutez-le gueuler Monsieur Glühmann, qui peut se targuer de rivaliser avec lui ?!
Les deux derniers morceaux sont apaisants, on fait avec le papa le chemin qu'il a à parcourir pour s'affranchir du passé. Encore une fois, la musique simple et profonde colle à la perfection.
Des idées à la pelle, ce CD regorge tellement de tout qu'il en est un véritable chef-d'œuvre ( au sens littéral, celui du compagnon), affranchi de toute référence et marqué de l'empreinte d'un talent qui j'espère n'est pas encore au sommet ; il s'impose déjà de façon presque indétrônable comme l'album de l'année voire de la décennie passée et pourquoi pas de celle à venir car les options prises de sonorités résolument modernes devraient aussi lui permettre de résister au temps. Ceux qui classaient encore Sylvan dans le néo vont voir leurs oreilles se déboucher, ceux qui apprécient le prog scandinave ténébreux vont aussi s'y retrouver, bref tous les courants devraient adorer cette oeuvre dont la force, la propension à nous faire voyager et à nous émouvoir n'a été que rarement atteinte dans l'histoire du progressif. 10/10 (Ah, mais on met plus de notes !! Ah, bon tant pis !).
P.S. Il reste maintenant aux membres de Sylvan à sortir de ce projet qui a dû phagocyter leur esprit et qu'ils pourraient percevoir comme une barrière à un nouveau projet progressif, ainsi il est question très prochainement d'un nouvel album pop-rock, bien loin de "Posthumous silence", moyen salvateur de sortir de cette ambiance prog portée à son paroxysme.
Bruno Cassan
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