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Il n’a sans doute jamais été aussi difficile de composer du rock progressif qu’en ce début de millénaire. Deux écueils guettent en effet les (plus ou moins) jeunes musiciens adeptes de notre style musical favori : plagier, même involontairement, les grands des "golden seventies", ou bien vouloir à tout prix faire compliqué et/ou fleuve pour "sonner prog".
Les groupes progressifs du moment les plus en vue (tels Arena), stigmatisés comme il se doit par une presse musicale anglaise (et française également, faut-il malheureusement l’avouer) qui n’a jamais supporté le progressif, qualifient dans un réflexe d’autodéfense, mais à juste titre, cette première approche de "régressive".
Quant aux albums mitonnés à la mode "pourquoi faire simple quant on peut faire compliqué" ils sont pour la plupart inintéressants, et même, n’y allons pas par quatre chemins, chiants…
Finalement les œuvres les plus progressives sont souvent là où on ne les attend pas : ainsi, Radiohead ou Muse ont (selon moi) une démarche 100% progressive, même s’il ne faudrait pas oublier les nombreux groupes estampillés "prog pur jus" tel Arena, Taal et autres Flower Kings.
Que cette longue introduction me soit pardonnée, mais elle va me servir à vous dire énormément de bien du groupe québécois Talisma dont j’ai eu le plaisir de chroniquer la première œuvre, "Corpus".
Si Talisma produit une musique éminemment passionnante à l’approche totalement progressive c’est peut-être parce qu’il s’articule autour d’un trio tout droit issu du monde du Jazz, et n’ayant donc par conséquent pas (ou peu) à composer avec " l’héritage" des dépositaires du "savoir" progressif.
Aux côtés du fondateur historique Donald Fleurent, on trouve ainsi le guitariste Martin Vanier et le batteur Mark Di Claudio, assistés sur deux morceaux par une voix féminine qui se contentera toutefois de "scatter", l’album étant entièrement instrumental.
Que trouve-t-on dans le ramequin Talisman ? Et bien les principaux ingrédients nécessaires à la réalisation d’une belle mayonnaise, à savoir : une indéniable virtuosité instrumentale individuelle, un indiscutable sens de la composition et de l’équilibre dans l’enchaînement des morceaux associés à un remarquable sens rythmique… et la mayonnaise prend merveilleusement bien !
A quoi "Corpus" ressemble-t-il ? L’influence de King Crimson est à mon avis la plus perceptible (comme par exemple sur le douzième morceau "untitled" ou sur le 4ème "satanusky"), mais il ne faudrait pas y voir là une approche "régressive" tant ce point de vue me semble personnel et tant telle influence, si elle existe, ne s’applique au maximum qu’à un couple de morceaux.
S’il fallait vraiment trouver un semblant de similitude d’approche, c’est vers l’excellent groupe anglais Sphere3, auteur lui aussi d’un unique album en 2002, que j’aurais tendance à me tourner, même si le discours de Talisma est sensiblement moins "Jazzy" que celui des anglais.
Aucune des 15 compositions de "Corpus" ne dépasse les 4’, et les permanents changements de climat musical de chaque morceau contribuent intelligemment au dynamisme global de l’album.
Certes, avec 43’ au compteur cet album n’est pas très long comparé aux "moyennes" auxquelles nous a habitué le support compact disc, mais s’ennuyer après seulement 3 minutes d’écoute n’est pas si rare tandis qu’ici on se surprend à en redemander une fois le dernier (et excellent) titre achevé.
Le trio québécois a en fait réussi à mettre en œuvre avec une intelligence rare tout ce qui constitue un "bon" disque progressif (breaks rythmiques, mélodies sophistiquées, créativité) sans nous en imposer les travers les plus usuels (développements stériles, débauches de virtuosité instrumentale "pour l’art")
En outre le côté parfois austère de tout exercice purement instrumental est ici astucieusement gommé grâce à l’utilisation judicieuse, à de nombreuses reprises, de nappes de chœurs générées par les claviers de Donald, ou grâce à l’apport d’une voix féminine.
Difficile de décrire de manière plus précise la musique de Talisma, ce qui est plutôt un (bon) signe d’originalité. Je vous enjoins donc à vous rallier à mon avis en offrant à vos papilles une des meilleures mayonnaises maison (façon québécoise) qui soit !
Serge Llorente
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