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Je dois dire que le précédent album de Tanger, "La mémoire insoluble", album génial s’il en est, m’avait explosé les neurones par la musique inattendue qu’il proposait. Un mélange assez détonnant de chanson "française", de rythmique rock, de textes poétiques ou carrément barrés, de développements instrumentaux longs, torturés et jouissifs, le tout avec des arrangements jazz, big band aussi, voir classiques ou issus de bande originale de film. Voilà à quoi me faisait penser cet album atypique, et j’avais plongé à 100% dans le monde suave et sucré de Chloé des Lysses.
Donc, ayant trouvé le nouveau Tanger, au doux titre d’ "Amourfol", je me suis dit qu’il fallait que je partage cette nouvelle sensation francophone avec les passionnés du Koid’ 9.
Tanger, c’est d’abord une structure insolite, centrée sur son chanteur Philippe Pigeard et sur la guitare bondissante de Christophe Van Huffel. Le groupe comprend aussi un bassiste, Didier Perrin, un batteur Tolga Arslan, 2 pianistes organistes, 2 saxophonistes flûtistes et, éventuellement, une section de 4 cuivres (ou plus !) ainsi qu’un quartet de cordes. Avec une telle formation, il n’est pas étonnant que leur musique soit étrangement bigarrée.
"L’Amourfol" débute plutôt bien avec "rotor planétaire" dans une ambiance quelque peu psychédélique, très rythmée, dansable même (autant se trémousser sur Tanger que sur du Funk, c’est moi qui vous le dit !), avec des coups de basse qui vous permettront de jauger vos enceintes. La chanson semble joyeuse, le texte ne l’est pas. La voix qui enfle et se met à rugir contrebalance l’atmosphère balancée qu’on croyait festive.
D’ailleurs, le second titre "postcardiogramme", sombre et introspectif, bénéficie aussi d’une instrumentation très colorée. Envie de contraste ?
L’inventivité est présente à chaque titre, les surprises apparaissent derrière chaque mélodie, là est le secret de Tanger. C’est une guitare syncopée ou wah wah qui soutient le chant puis qui est remplacée d’un coup par un trombone, lui même entouré de nappes d’Hammond avant que ne déboule toute une fanfare ou un grand orchestre jazz, façon Count Basie. De plus, Philippe Pigeard chante (et parle) d’une manière personnelle, très "pop", limite "variété" (pour autant que cela veuille dire quelque chose), d’une façon qui ne rappelle aucun des groupes de rock ou de prog français, ce qui accentue l’aspect décalé de leur musique.
"Nuits de rêve" est révélateur de quoi sont capables ces musiciens. Près de 9 minutes de délire avec une partie chantée assez convenue, une section de cuivres sous-jacente qui commence à marquer le tempo, une guitare solo discrète mais omniprésente (marrant, on pense à Mikael Karoli de Can), puis les trompettes, les saxes, les trombones se déchaînent à la façon du "diminuendo and crescendo in blue" de Duke Ellington, pas moins !
Il y a d’autres titres intéressants ("un homme est inerte"), nostalgiques ("barfleur") ,naïfs ("le petit soldat") et chacun possède une parcelle de la classe et de la folie de Tanger. Chaque morceau est très agréable à écouter car les prises de son sont très claires, et le mixage respecte parfaitement les timbres des nombreux instruments.
"L’Amourfol" est un régal pour les systèmes hi-fi bien réglés, un vrai plaisir d’égoïste qui aurait tendance à éclipser une certaine réalité, à savoir que les compositions sont bien moins ambitieuses et abouties que pour l’album précédent. Ici, seul "nuits de rêve" montre l’étendue créative du groupe, les autres chansons paraissent un peu fades en comparaison. "La mémoire insoluble" ne me semble pas souffrir de la même inconstance .
Bon, j’ai été un peu déçu par ce dernier album, probablement parce que j’en attendais trop ou parce que les musiciens ne pouvaient pas (ne voulaient pas ?) poursuivre dans la voix audacieuse du précédent disque.
Peu importe d’ailleurs, la singularité de leur musique, son originalité, ses incroyables arrangements, tout ce faisceau de qualités montre l’émergence d’un groupe talentueux qu’il vous appartient de tester, histoire de vous constituer une opinion.
Dominique Reviron
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