Trion : Tortoise (2003 - cd - parue dans le Koid9 n°48)
Contraction de trio et de tron (pour mellotron), Trion unit les efforts d’Edo Spanninga et d’Eddie Mulder respectivement claviériste et guitariste de Flamborough Head et du batteur d’Odyssice Meno Boosma lui-même frère de Margriet Boosma la chanteuse de F.H. Les obligations professionnelles et familiales des uns et des autres ayant retardé pour un temps l’élaboration du nouveau Flamborough Head, Edo Spanninga et ses deux acolytes ont décidé de se faire plaisir et de s’essayer à l’écriture de morceaux typés 70’s. En effet comme il le confie volontiers, Edo a toujours été amateur de ces groupes de légende tel que Genesis, Yes et consorts, et les ayant découvert adolescent, ils ont marqué à jamais ses goûts musicaux, et c’est tout naturellement qu’à son tour, il a reproduit une musique progressive. Son challenge sur cet album a été de ne jouer d’aucun synthétiseur mais uniquement de samples de mellotron, l’instrument mythique et emblématique de l’âge d’or du progressif, en l’occurrence de samples de 6 mellotrons différents. Pourquoi ne pas utiliser de vrais mellotrons me demanderez-vous ? La meilleure réponse est qu’Edo n’en a pas, que c’est un instrument peu fiable, et ensuite que, n’est pas Rick Wakeman qui veut. En effet, seul le claviériste de Yes a la quasi maîtrise de cet engin. Pour exemple, sachez que vous ne pourrez pas plaquer un accord plus de quelques secondes avec un mellotron car celui-ci "s’évapore" au bout de six secondes environ, sauf si vous pouvez appuyer 2 fois (ou +) sur les touches de l’accord voulu, dans la même demi seconde, sans créer de doublon évidemment, et si vous avez réussi, vos notes vont perdre un demi-ton entre leur naissance et leur évaporation, ainsi vous serez donc désynchronisé par rapport aux autres instruments à moins d’avoir toute la dextérité et l’intelligence d’un Rick Wakerman pour trouver la parade en créant une manière particulière de toucher et de vitesse. Ceci étant dit, revenons au contenu musical de cette galette qui contient 11 morceaux pour 50 minutes et dont le premier donne son titre à l’album. D’entrée on est en plein dans le sujet avec le mellotron de "watcher of the sky" et où l’on découvre que notre "mellotroniste" touche aussi à la flûte et sur d’autres passages de l’album, au hautbois, triangle, orgue et violoncelle ! L’album se décline en passages lents de grande beauté et de sensibilité comme "hindsight", "radiation part 1", "the seagullsé, le sublime "hurt" digne d’Hackett, avec de belles parties de flûte et de guitare acoustique et où on découvre de nouvelles facettes du jeu d’Eddie Mulder révélant un réel talent souvent trop étouffé dans F.H, et qui, dans cette aventure a pu s’essayer à de nouveaux sons et à de nouveaux instruments, notamment la basse, sur les quelques passages où il a été jugé nécessaire qu’elle y fut. En passages plus électriques et rapides tels le jazzy "radiation part 2" à la ELP, le camélien "tribulations" et son sublime final au mellotron emphatique ; le caravanesque "the new moon" avec ses 8 minutes, sa puissance génésienne et ce clin d’œil à Yes avec quelques accords de "yours is no disgrace". L’album se conclut sur l’émouvant "spectrum of colours" que ne renierait pas Andy Latimer et par "endgame" donné pour 5.39 et qui semble être fini à 3.07 et qui permet de réentendre le cri de Jemetrion la tortue, l’héroïne de cette histoire d’Heroic fantasy à la Greenslade, qui parcourt la pochette et le livret, dont les illustrations 70’s raccords avec la musique, semblant sorties de la palette de Roger Dean sont le fait d’un artiste hollandais, Jasper Joppe Geers. Au final, un très bel album, très personnel, bien moins emprunt de références qu’il n’y paraît, le truc sans prétention qui a tout bon et qui malgré la couleur 70’s affichée, en fait un disque très frais pour une place particulière dans une discothèque. La poésie n’est pas qu’affaire de mots, cette musique parle et c’est du Rimbaud. Bruno Cassan |