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Jethro Tull a sorti son dernier album studio, le très bon mais pas révolutionnaire "Dot com" en 1999. Leur prochain disque, "A Christmas album", qui devrait sortir ces jours-ci (désolé, on n'a pas pu se le procurer à temps… chronique dans le prochain numéro…), ne contient que 4 ou 5 morceaux nouveaux et des reprises des morceaux de leur répertoire passé consacrés à Noël, plus des arrangements apparemment très personnels de traditionnels festifs… Un nouveau DVD de raretés live, "A new day yesterday", devrait sortir aussi ces jours-ci… Mais après 4 ans d'attente, tout cela semble un peu maigre. Par contre, Anderson en est à son deuxième album solo en 3 ans avec, cette fois-ci encore, 13 nouveaux titres. Il semble bien que, malgré l'énorme activité scénique du Tull (partout sauf en France !), Ian Anderson soit bien décidé à ne plus trop travailler sur des albums studio du groupe. Il donne d'ailleurs de plus en plus de concerts en solo et avec des orchestres (et ça, on aimerait bien en avoir un témoignage discographique !). Trois ans après le très sympathique "The secret language of birds", "Rupi's dance" en reprend plus ou moins les mêmes recettes : un album essentiellement acoustique mais varié, qui mêle les influences folk, Renaissance, classiques et jazz déjà bien connues avec celles plus récentes issues de la musique indienne et du Moyen-Orient à l'occasion.
"Rupi's dance", comme son prédécesseur n'est finalement pas le genre d'album acoustique que l'on pouvait attendre de Ian Anderson en 1978 par exemple. Beaucoup de titres sont dynamiques. Le premier, "calliandra shade", est même tellement entraînant et rythmé qu'il en est dansant !
Le jeu de flûte de Ian n'a cessé de progresser depuis une quinzaine d'années et cela s'entend au travers des nombreuses parties instrumentales qui parsèment l'album, certains morceaux contiennent même plusieurs parties de cet instrument. De plus, il continue d'utiliser non plus seulement la flûte traversière classique mais aussi diverses flûtes en bois, en bambou par exemple… ce qui se fait par contre un peu au détriment de son jeu de guitare acoustique, plus simple qu'il fût un temps ("Minstrel in the gallery"). Quant à la voix, Anderson délivre une bonne performance, un peu mieux que sur son précédent album. Malgré quelques limites techniques dans les aigus, Ian Anderson demeure globalement un chanteur très juste, chaleureux, charismatique, au timbre reconnaissable entre mille. Ian qui, en plus du chant, des diverses fûtes, et des guitares acoustiques assure aussi mandoline, accordéon, un peu de guitare basse et de percussion, est entouré de nombreux musiciens : occasionnellement Andy Giddings de Jethro Tull (claviers et basse), Lazlo Bencker (claviers) qui a arrangé trois pièces pour un quatuor à cordes, David Goodier (basse, contrebasse), John O'Hara (accordéon), le vieux copain Leslie Mandoki (batterie, percussion) et James Duncan (batterie).
Pour être depuis plus de 20 ans un amoureux de la plupart des pièces acoustiques de Ian Anderson dans Jethro Tull, je n'ai pu m'empêcher encore une fois d'être un peu déçu lors de la première écoute de cet album, où il manque, me semble-t-il, l'étincelle romantique, la subtilité et le charme typiquement anglais, cette certaine nostalgie que l'on pouvait ressentir à l'écoute de "christmas song", "life is a long song", "wond'ring aloud", "requiem" ou le plus récent "jack-a-lynn" (dont il existe une version 100% acoustique). Anderson a considérablement élargi son spectre musical, comme en témoignent les titres orientalisants et un peu jazz rassemblés surtout vers le milieu du disque : "a week of moments", "a hands of thumbs" ou "old black cat" (qui rappelle "jasmine corridor " sur le précédent album). D'ailleurs, "Rupi's dance" n'est pas acoustique à 100% : deux morceaux possèdent une section plus rock avec le duo de guitares électriques formé par Ossi Schaller et George Kopecsni. Des rythmes d'allure un peu plus modernes apparaissent aussi – rarement ("lost in crowds").
Après une écoute attentive et répétée, "Rupi's dance" révèle pourtant beaucoup de charme et de qualités. La variété de ton est plus grande que sur "Secret language", notamment au niveau des arrangements. La plupart des mélodies sont fortes et certaines sont superbes, comme ces deux pièces inspirées par sa passion pour les chats : le triste "old black cat" dédié à un vieux compagnon qui l'a quitté récemment et puis le plus joyeux (et très écossais) "rupi's dance" dédié à un jeune chaton qui doit être adulte à l'heure où j'écris, évidemment… Les plus orchestraux "raft of penguins" et "pigeon flying over Berlin zoo" sont typiques du meilleur Jethro Tull classique, ou même "no ralitsa vassileva" (une teinte un peu slave qui rappelle "budapest"). Les deux instrumentaux "eurology" (joyeux et celtique) et "griminelli's lament" (belle pièce lente qui mêle celtique et musique baroque) figurent parmi les meilleurs moments. D'ailleurs, il n'y a aucun mauvais morceau sur l'album, seulement une poignée de chansons un peu quelconques venant d'un musicien de ce niveau. En ce qui concerne les textes, Anderson continue sur sa lancée récente, qui consiste à nous présenter des tranches de vie, de façon très simple ou parfois nettement plus elliptique. Le livret sobre mais luxueux nous livre ses réflexions, souvent humoristiques, à propos de chaque morceau, histoire de nous éclairer un peu.
En prime, à la fin de l'album vous aurez un avant-goût de celui de Jethro Tull, l'excellent "birthday card at Christmas" qui m'a rappelé le mélange électrique/acoustique, dynamique et folk de "Stormwatch".
Quoi que l'on puisse penser des choix de Ian Anderson, et même si on regrette l'absence de Martin Barre sur "Rupi's dance" comme on pourrait regretter celle d'Anderson sur son "Stage Left", cet album est une production plutôt intemporelle, qui a de la classe et du charme, et c'est si rare de nos jours !
Marc Moingeon
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