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THE BEATLES
Retour discographique
Préambule : cette liste de chroniques de l'intégrale des albums studio officiels des Beatles est extraite d'un dossier paru dans le numéro 72 du magazine, dossier concocté avec amour par quelques membres de la rédaction à l'occasion de la parution en septembre 2009 des 2 coffrets Mono et Stéréo "ultimes"
Au menu, les albums décortiqués un à un par François Albert et un comparatif entre les 2 coffrets par Patrick Robinet
Notez qu'à la suite d'une petite flemme devant l'ampleur de la chose et la peur de beaucoup rallonger le dossier, la chronique du "double album blanc" avait été ultra-rapide dans le dossier papier. François avait ensuite lavé l'affront avec une vraie chronique, disponible uniquement sur le site : ici
Pour accéder directement à un album en particulier, cliquez sur sa pochette :
Hors album 1962
"love me do" (version différente)
Boum ! C'est là que tout commence ! Ce 1-2-3-4, qui ouvre le disque pour donner le tempo du premier titre, marque de façon tonitruante le départ d'une carrière fulgurante et à peu près sans équivalent dans l'histoire du rock. Quatorze morceaux pour 32 minutes ; c'est le standard à l'époque. Vous pouvez vous référer à l'intro de ce dossier pour revoir le contexte musical de ce début des années soixante.
Or donc, nous y voilà : reprenant les quatre titres de leurs deux 45 tours sortis en octobre 1962 et janvier 1963, "Please please me" comporte huit morceaux sur quatorze signés McCartney-Lennon -la fameuse double signature ne prendra sa forme définitive inverse qu'avec le single suivant- ce qui est un exploit pour un premier album ! Evidemment, les paroles sont très cul-cul et naïves et le disque représente en gros le répertoire de leurs concerts, ni plus ni moins et on est dans le rock et le rhythm and blues. Alors qu'est-ce qui les différencie des autres ? Je crois que le plus gros point est le sens de la mélodie et c'est ce qui accrochera des foules entières. Additionnellement, au moins pour le début de leur carrière, leur statut de minet leur donne un net avantage sur les vieux rockers sur le retour. Les arrangements vocaux sont aussi d'une qualité incroyable pour des petits branleurs autodidactes de 20 ans. Il faut dire qu'ils bourlinguent en tournées incessantes depuis plusieurs années déjà : tout est rôdé !
La zique alors ? "I saw her standing there" lance l'affaire de bien belle manière : un rock classique composé et chanté par Paul McCartney mais arrangé de façon sautillante avec déjà une basse qui swingue -le bougre passera son temps à nous éblouir par la suite- et un solo de guitare de George Harrison tout à fait dans l'esprit. Intro parfaite ! De la pop un peu désuète mais toujours charmante avec "misery" et "do you want to know a secret". Trois des titres des 45 tours entrent aussi dans cette dernière catégorie : "love me do", "ps i love you" et "ask me why". Le quatrième, "please please me" est d'une autre trempe : il a été n°2 au hit-parade et concentre tout leur savoir-faire. Imparable. Après celui-là, tous leurs singles ou albums, sauf trois, seront n°1 en Grande-Bretagne ! Les reprises empruntent beaucoup aux groupes vocaux américains noirs ou blancs, masculins ou féminins. Elles sont superbement interprétées et pas toujours très connues (déjà ils savent imposer leurs choix). Ringo Starr en chante une, "boys", avec sa voix euuuuh... particulière.
Restent deux cas à part. Tout d'abord "there's a place" dans laquelle John Lennon sort complètement du thème "je t'aime... il me faut cette fille... gna gna gna..." et nous dit qu'il y a un endroit où il va quand il ne se sent pas au top : son esprit ! Ceci annonce bien des choses futures de sa part. Et puis "twist and shout", la reprise de Medley-Russell qui clôt l'album, hurlée par Lennon à la fin de la seule journée d'enregistrement de ce disque ! Une seule prise. Sa voix est cassée mais il a tout mis dedans. C'est parfait -nombre de gens considèrent ce titre comme une de leurs compositions tellement ils se la sont appropriée. Ils en font une deuxième pour voir, par acquis de conscience mais ils savent que l'autre est insurpassable et d'ailleurs la voix de Lennon refuse d'aller plus loin, extinction complète.
Curiosité générale de l'album : l'harmonica de Lennon, présent sur plusieurs titres, et qu'on retrouvera encore pendant 2 ans avant d'être remis au placard. Lennon, pour finir, qui domine vocalement ce disque. Il faut dire que c'est lui le côté rock dans son sens le plus originel (et donc américain) qui forme le gros de leur répertoire de scène. Rideau. Dix heures de session, dix titres mis en boîte pour un disque qui lance la machine. Le véritable déclencheur sera toutefois le 45 tours suivant (voir la chro des "Past masters".)
La photo qui illustre la pochette est restée célèbre même si elle n'a rien de cassant.
With the Beatles (novembre 1963)
Quasiment une copie conforme de "Please please me", "With the Beatles" sort le 22 novembre 1963 jour de l'assassinat de Kennedy. Un symbole ? Peut-être... toujours est-il que l'Amérique, perdue après la disparition de son président, basculera bientôt dans le camp des Beatles. Ce qui n'a rien à voir je vous l'accorde, mais bon...
14 titres encore, 33 minutes, 8 compositions propres, 6 reprises. Alors, quoi de différent huit mois plus tard ? Autant le premier album a été fait pour tester les Beatles sur le marché et accessoirement accrocher la Grande Bretagne, celui-ci est secrètement destiné à percer aux Etats-Unis. Les reprises, encore imposées par le bizness, lorgnent pas mal du côté de la Motown mais c'est de toute façon une grosse influence des Fab Four, il n'y a donc pas de contradiction. Les arrangements, ceux des voix en particulier, progressent beaucoup. Il faut d'ailleurs rendre hommage à leur producteur George Martin qui, tout au long de leur carrière, saura traduire leurs envies, leurs idées, leurs délires et magnifier tout ça en plus de jouer des claviers sur pas mal de titres.
Lennon ouvre le bal avec un "it won't be long" très accrocheur, rock au rythme enlevé, balançant les "yeah" inaugurés avec le 45 tours "she loves you". C'est le titre qui ressort du disque avec le "all my loving" de McCartney qui entame là sa montée en puissance dans le domaine de la pop-rock sophistiquée. Le reste des compos est, à mon avis, un cran en dessous. George Harrison s'y essaie pour la première fois avec "don't bother me". Etrange comme ce gars reste lucide dans la tourmente des tournées, des vociférations des fans, du cirque qui commence à les submerger : "laisse-moi tranquille, ne viens pas m'embêter". Bon texte, mais la musique n'est pas impérissable. Ringo chante son titre, une composition Lennon-McCartney cette fois : "I wanna be your man" que le duo avait écrit quelques temps auparavant et donné aux Rolling Stones en mal d'inspiration pour leur 2ème single. Expérimentation déjà avec "hold me tight", enregistrée pour "Please please me" mais non retenue à l'époque, dans laquelle les guitares vrombissent plus qu'autre chose. "Money" (Bradford-Gordy) ferme la marche et est le pendant exact de "twist and shout" mais encore plus sauvage ; un must absolu !
Un album en très légère demi-teinte ; on devine qu'ils sont capables de beaucoup mieux mais que le carcan des standards édictés par l'industrie musicale bride leur puissance créatrice (ainsi que le rythme incessant des tournées et apparitions diverses qu'il doivent affronter.) A noter que le mixage est un peu moins équilibré : l'accent est mis sur les voix et les guitares au détriment du duo basse-batterie.
Ils inaugurent aussi le passage au magnéto 4 pistes pendant les sessions de cet album. Il en sera de même pour tout ce qu'ils feront jusqu'en 1968. Que de chef d'œuvres avec si peu de moyens !
Robert Freeman a fait de très beaux portraits individuels pour la pochette qui tranche, déjà, avec ce qui se fait dans le reste du rock.
Hors album 1963
"from me to you", "thank you girl", "she loves you", "I'll get you", "I want to hold your hand", "this boy"
A hard day's night (juillet 1964)
Beaucoup mieux ? On y est ! Chercherait-on un morceau à jeter sur ce disque qu'on aurait du mal. A peu près tous les titres sont de haute volée et il n'y a cette fois aucune reprise ; tout est signé Lennon-McCartney. D'authentiques compositions communes : "a hard day's night", "tell me why" ou le méga-sublime "I'll be back" côtoient trois titres McCartneyiens et les 7 autres morceaux sont plus spécifiquement attribués à Lennon qui règne en maître incontesté au moins sur le plan quantitatif. Cela dit, la montée de McCartney continue et il joue maintenant à égalité artistique avec son compère : "and I love her" est un modèle de ballade acoustique (très bon sur le remaster !), "can't buy me love", rock à 110%, a cartonné en simple peu avant la sortie du 33 tours et "things we said today" est une fausse ballade folk-rock superbe ! Les morceaux de John Lennon ont toujours ce ton globalement plus rock mais il sait se faire extrêmement mélancolique notamment sur le merveilleux "if I fell". Quelques textes laissent encore un petit goût d'immaturité mais on sent là aussi la progression : sur "I'll cry instead", Lennon place un vers apparemment anodin "j'ai toutes les raisons d'être fou...". Le succès commence à lui peser. A noter qu'il laisse un titre au chant pour Harrison : "I'm happy just to dance with you."
Les quatre ont maintenant digéré toutes leurs influences et les redistribuent à leur sauce. Ils sont ici des créateurs à part entière, abordant des thématiques parfois en marge du rock : country, rhythm and blues, etc... La quintessence de leur première période (1962/1964) est dans "A hard day's night" et c'est d'autant plus fort qu'ils l'ont composée en des temps de folie : première tournée américaine, perçage dans le monde entier et tournage d'un film -car "A hard day's night" est au départ un film mi-documentaire mi-fiction sur et avec les Beatles, la 1ère face du vinyl en représentant la B.O. Respect ! En plus l'album suivant paraît cinq mois plus tard et je ne compte pas les singles, nombreux cette année là... Au secours ! Le mot Beatlemania, inventé l'année précédente, prend tout son sens en 1964.
La pochette présente des vignettes extraites du générique du film avec les têtes de nos compères. Original mais pas transcendant.
Beatles for sale (décembre 1964)
C'est effrayant. Cinq mois, donc, se sont écoulés. Seulement ! OK, les morceaux sont beaucoup plus courts que dans le prog. Mais justement, il est infiniment plus dur d'écrire trente titres de 2 ou 3 minutes qui tiennent la route que dix de 7 ou 8 minutes... Et pendant ces cinq mois a eu lieu une deuxième tournée américaine ! Bref, le 4 décembre 1964 paraît "Beatles for sale" -Beatles à vendre- clin d'oeil à la période choisie de Noël. Les reprises sont de retour, six sur quatorze titres, sans doute à cause du manque de temps justement.
Piano, harmonium, orgue, percussions sont au rendez-vous et les passages à trois voix ne sont pas rares. Les Beatles s'écartent de plus en plus souvent de la formation rock de base, ce qui posera forcément des problèmes en concert, on y reviendra. La cohésion et l'interprétation sont maintenant d'un sacré niveau. Attention, je ne parle pas de la technicité ; ils n'ont jamais été très bons techniciens à part McCartney peut-être. C'est surtout le jeu d'ensemble et l'inventivité de chacun qui tirent l'oeuvre vers les sommets. Je dis bien l'oeuvre car avant de le jouer, il faut écrire le morceau et là il y a très très peu de rivaux dans le même créneau.
Alors ces morceaux ? Et bien, on sent une petite aspiration à plus de calme et aussi d'introspection. Lennon en particulier fait de l'autobiographique et l'artiste pris dans une tourmente qu'il ne maîtrise pas pointe le bout de son nez : "bien que je rie et que je fasse le clown, derrière ce masque mon visage est triste" se lamente t-il dans "I'm a loser". Ses cris déchirants de "no reply" chantés en duo avec McCartney sont aussi évocateurs. "Baby's in black" est une valse -quand je dis qu'on s'éloigne du rock !- composée par le tandem infernal, et elle est magnifique et poignante : c'est l'histoire d'une veuve que le narrateur-chanteur essaie de tirer de son chagrin sans y parvenir. Ballade acoustique avec accompagnement minimaliste pour McCartney avec "I'll follow the sun", titre vraisemblablement composé avant la gloire.
Les reprises tiennent bougrement la route, avec le "rock and roll music" de Chuck Berry (John au chant) ou le "kansas city" de Leiber-Stoller (Paul.) Impressionnant travail vocal des deux sur "words of love" de Buddy Holly. Deux titres de Carl Perkins avec "honey don't" (Ringo) et "everybody's trying to be my baby" (George.)
Les autres compos sont au standard habituel à part "eight days a week" quand même plus faiblard même si son intro en fade-in est des plus réussies.
Le visuel du disque est superbe : Robert Freeman encore, a immortalisé le groupe à Hyde Park avec feuilles mortes, couleurs d'automne et visages mélancoliques, voire graves. Une des premières pochettes ouvrantes avec à l'intérieur un collage de personnages en noir et blanc qui préfigure une autre de leurs pochettes à venir...
Hors album 1964
"komm, gib mir deine hand", "sie liebt dich", "long tall sally", "I call your name", "slow down", "matchbox", "I feel fine", "she's a woman"
Ça ne chôme toujours pas : tournées, télés et nouveau film ! En août 1965, justement, les Beatles jouent au Shea Stadium devant 55000 personnes hurlantes, inaugurant les concerts géants dans les stades. "Help !" est donc un film, de fiction pure cette fois ci, tourné de février à avril. Pendant ce temps, il faut composer la B.O., les chansons qui complèteront le disque et les singles. Ils ont aussi rencontré Bob Dylan et l'influence se fait sentir.
Bon, il y a clairement à boire et à manger sur cet album. On sent qu'un virage arrive mais qu'on regarde encore en arrière et qu'en plus on ne sait pas comment le négocier. Durée et nombre de titres habituels. On note le retour d'Harrison en tant que compositeur avec deux morceaux : "I need you" et "you like me too much" qui ne figurent pas parmi les incontournables du groupe. Dans le même tonneau, on peut placer "you're gonna lose that girl", "it's only love", "tell me what you see" et un peu mieux quand même "I've just seen a face". Deux reprises figurent sur le disque avec le country "act naturally" que chante Ringo et "dizzy miss lizzy" de Larry Williams interprétée par Lennon dans la même veine que "money" et qui ferme l'album comme une espèce de contrepoids au titre qui le précède ; on en reparle dans quelques lignes.
Heureusement il y a aussi de fameux moments signés Lennon avec évidemment "help !" et "ticket to ride". Ce dernier notamment, mérite un sacré détour. Son arpège est envoutant et la progression du thème excellemment bien trouvée. C'est bien sûr avec "you've got to hide your love away" de Lennon également que l'ombre de Dylan évoquée plus haut plane sur le groupe. Son auteur s'y livre encore un peu plus dans une très belle ambiance calme et mélancolique mais pas triste. Superbe tout simplement.
McCartney nous concocte de son côté "the night before", de belle facture sans qu'on sache s'il veut en faire un titre pop ou rock et "another girl" dont je n'arrive pas à me décider si je le trouve bien ou pas ; ça dépend des jours... Et puis, et puis, le fameux morceau qui est sur le disque avant "dizzy miss lizzy"... C'est "yesterday", de McCartney, tout seul, qu'il chante tout seul, accompagné de sa seule guitare et... d'un quatuor à cordes habilement suggéré par George Martin. Le titre est-il génial ? Difficile à dire, on l'a tellement entendu, c'est la chanson la plus reprise dans le monde. Elle est quand même sacrément bien vue. Lennon lui-même, après la séparation, ne tarira pas d'éloges -ce qui est un sacré compliment !
Un piano électrique pointe son nez sur plusieurs morceaux de ce disque mi figue-mi raisin, qui est un album dit de transition. La rivalité artistique entre les deux « grands » du groupe crée de l'émulation et on devine que de belles choses se préparent.
La pochette est issue de séances photos faites en Autriche pendant le tournage du film : les 4 sur fond blanc, faisant des signaux de détresse.
La première grosse évolution est là. Les techniques de studio progressent beaucoup, et beaucoup grâce aux Beatles eux-mêmes. Ils passent plus de temps à peaufiner, à rechercher des ambiances, des astuces, des sons nouveaux. C'est aussi l'époque de leur prise de pouvoir sur leur musique : ils commencent à participer au mixage, aux décisions importantes. Ils font aussi voler en éclat les horaires très stricts des studios Abbey Road en dépassant minuit ! Ils s'ouvrent également à d'autres cultures. Bref, ils murissent et vieillissent tout simplement. En plus ils ont découvert quelques substances non prévues dans le manuel et leur créativité est décuplée. Désormais il n'y aura plus de reprises sur leurs albums, ils sont auto-suffisants.
Les voix et les chœurs sont le gros point fort de "Rubber soul" à tel point qu'on peut se demander s'ils auraient pu ne pas se servir de leurs instruments ! Carrément ! Le niveau des compositions, lui, est tout simplement au sommet avec des textes qui n'ont plus grand chose à voir avec ceux datant de seulement quelques mois -l'influence de Dylan toujours... Je suis d'accord avec Patrick Robinet : le mixage de "Rubber soul" ressemble trop aux disques du début et ça ne devrait pas ; en revanche la qualité sonore a fait un bon phénoménal.
Que dire du contenu ?! C'est superbe ! Les deux grands co-composent beaucoup et se mettent la pression avec leurs morceaux plus individuels. Paul McCartney assure basse, guitare et piano sur "drive my car", il compose une très belle ballade pop-rock avec "you won't see me" dont je ne sais pas pourquoi le tempo ralentit au fur et à mesure, qu'est-ce que la fin est lente ! Il nous gratifie plus ou moins d'un "yesterday" bis avec "Michelle" dont les quelques vers en français font évidemment mouche chez nous et il arrange un petit thème folk-rock sympa avec "I'm looking through you". John Lennon nous envoie carrément "in my life" où il revisite son passé, "nowhere man" et son texte plutôt existentialiste, "girl" et ses chœurs langoureux et sa respiration très prenante, "norwegian wood" très Bob Dylan et sur laquelle Harrison joue du sitar pour la première fois sur disque.
George, justement, signe deux morceaux magnifiques avec "think for yourself" sur laquelle figurent deux pistes de basse, une standard et une fuzz (saturée) ainsi que "if I needed someone" qui contient de très beaux arpèges à la façon des Byrds et du chant à trois voix monstrueux ! "The word" annonce plus d'un an et demi à l'avance l'été peace and love, Ringo co-écrit (pour la première fois) avec Lennon et McCartney un "what goes on" qui n'a rien de cassant mais qui s'écoute sans déplaisir. "Wait", un peu étrange mais finalement attachante, alterne des couplets plutôt calmes et des refrains enlevés. A la limite, seule "run for your life" est un peu en dessous et encore seulement pour le texte plutôt macho de Lennon, qui le désavouera lui-même plus tard.
Alors chef d'œuvre ? Sans doute, sans doute, mais… ce n'est pas mon rayon. Je reconnais la qualité des titres mais ce n'est vraiment pas ce que je préfère. J'en ai toujours un autre à écouter à la place.
Quatre visages pour la pochette. Point. Mais une belle photo déformée très annonciatrice du psychédélisme montant à l'époque.
Hors album 1965
"bad boy", "yes it is", "I'm down", "day tripper", "we can work it out"
Voilà, c'est là ! Ce disque mériterait un dossier à lui tout seul... Enfin pour moi... Ils avaient appris la technique d'enregistrement avec "Rubber soul", maintenant ils expérimentent à tout va, demandant à George Martin toutes sortes d'arrangements, de sons, de trucages qu'il sera impossible pour eux de reproduire en concert. Aucun titre de ce disque ne sera joué dans la tournée de l'été 66 alors qu'il vient de sortir !
Que dire... Que dire ? Les Beatles appliquent dans "Revolver" les recettes mises en place pour "Rubber soul" mais en plus ils retrouvent le rock mis un peu de côté sur ce dernier. L'arrivée à la console de Geoff Emerick, tout jeune ingénieur du son et ouvert aux expérimentations, va booster leur créativité et amener George Martin à faire entrer le rock dans une nouvelle ère.
Grande première : c'est George Harrison qui ouvre l'album avec un "taxman" mordant et satirique qui vise le percepteur de façon plutôt énergique. Réussi ! A noter une guitare saturée qui reviendra beaucoup sur le disque. Un monument suit "taxman", c'est "eleanor rigby" : un ensemble classique plus le chant et la musique de McCartney, les chœurs d'Harrison et Lennon (qui fournit le gros des paroles) et un texte, donc, sublime d'irréel et d'imaginaire. C'est le premier personnage qui a un nom spécifique dans leur répertoire. Les drogues planent de façon plus ou moins directe sur l'album, tout d'abord avec "I'm only sleeping" (Lennon) et son rythme lourd, ses guitares trafiquées et passées à l'envers pour le solo. C'est aussi le cas avec "doctor Robert" (Lennon), autre personnage, qui soigne ses patients avec ses « potions » à lui, quand ça ne va pas... Même "yellow submarine" (Lennon-McCartney chanté bien sûr par Ringo) avec sa musique enfantine et son texte qui semble l'être aussi, n'est sans doute pas si innocent que ça. Deux autres titres merveilleux de McCartney viennent s'ajouter à "Eleanor Rigby" pour former le triangle magique de ses morceaux intimistes et calmes sur "Revolver" : "here, there and everywhere" avec son côté un peu Beach Boys dans les choeurs et puis "for no one", sorte de valse un peu triste avec clavecin, piano et un cor anglais qui apporte l'exacte touche nostalgique qu'il fallait. Paul compose également "got to get you into my life" comme clin d'oeil appuyé à la Motown avec cuivres et rythme enjoué. George n'a pas fait que "taxman" sur ce disque puisqu'il place trois titres en tout avec "I want to tell you" et son texte sur l'incommunicabilité (sur fond de drogue encore) et "love you to", thème de musique typiquement hindou, avec sitar et tabla, dans lequel une guitare et une basse sont reléguées au second plan.
Deux titres très gais avec "good day sunshine" et "and your bird can sing", signés respectivement Paul et John, ouvraient la deuxième face du vinyl tandis qu'il reste deux morceaux signés Lennon que nous n'avons pas encore évoqués et qui, cette fois, fermaient chacune des faces. D'abord "she said she said", aux guitares distordues et aux breaks aériens de Ringo -sa marque de fabrique en 1966-1967- qui servent une musique très psyché mais néanmoins agressive et un texte relativement cinglé inspiré par un "voyage" au LSD. Enfin "tomorrow never knows" termine le disque... Construite sur un seul accord, contenant des boucles apportées par McCartney, des bandes passées à l'envers, la voix de Lennon circulant à travers un Leslie, une batterie obsédante et répétitive, le tout mis en forme par George Martin... On pourrait aisément y voir un lointain précurseur de la techno ! C'est le premier titre enregistré pour l'album, dès début avril 1966.
Ce disque est un pas de géant dans leur carrière. Il inspirera plusieurs générations de musiciens et trouvera son aboutissement l'année suivante avec "Sgt Pepper". Très équilibré pour ce qui est des contributions de chacun des membres et de la qualité des titres, il marque aussi une très nette amélioration dans la technique de jeu, en particulier pour Harrison et Starr.
La très belle pochette représente les quatre visages, dessinés à l'encre de Chine par le vieil ami de Hambourg Klaus Voormann, mélangés à des photos issues des programmes de tournées.
Hors album 1966
"paperback writer", "rain"
Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band (juin 1967)
Août 1966, les quatre garçons cessent de courir après le vent : ils décident tout simplement d'arrêter les concerts ! Le plus vieux a 26 ans, le plus jeune 23 et ils en ont marre... Saturation totale... Dans les salles ou les stades, le public ne les entend pas tellement ça hurle ; sur scène, eux-mêmes ne s'entendent pas et du coup ne peuvent chanter juste et rendre justice à leurs morceaux. On vient de le voir, leurs arrangements progressent à grand pas et ils ne peuvent les reproduire en public. Un membre supplémentaire aurait pu régler le problème mais ce n'est pas le groupe du coin dont on fait varier la composition comme ça... Bref, stop, et on se consacre au studio.
Le résultat, c'est ce disque, "Sgt Pepper" comme on le nomme. Sept cents de studio et 25000 livres à comparer à la journée et aux 400 livres de "Please please me". Afin de se donner plus de liberté, les Beatles et McCartney en particulier, auteur du concept (le grand mot est lâché même si ce n'en est pas vraiment un), s'inventent une histoire avec leur double -la fanfare du Sergent Poivre- qui joue un spectacle entier dont le disque est la reproduction sonore. D'où l'accordage des musiciens au début, les bruits du public, le Monsieur Loyal, les titres plus ou moins enchaînés et surtout une cohérence de l'ensemble.
"Sgt pepper", donc, ouvre la galette avec du rock bien trempé et un chant et un texte qui haranguent les spectateurs et les invitent à prendre place pour le show. Du grand McCartney qui annonce la suite en la personne de Ringo Starr qui campe le personnage de Billy Shears qui a besoin de l'aide de ses amis : "with a little help from my friends" est un des titres qui colle le plus à Ringo. C'est sans prétention mais qui d'autre que lui pouvait le chanter ? C'est une co-composition John-Paul dont Joe Cocker, entre autres, a fait une excellente et très personnelle version sur disque et à Woodstock (et à tous ses concerts depuis...) Lennon se fait ensuite conteur pour "Lucy in the sky with diamonds" qui décrit un rêve avec tout ce que ça peut compter de délire, d'images surréalistes et de brouillage de pistes. Grandiose ! Et alors... LSD ou pas ? On ne saura jamais de toute façon ! Rock, carré, joyeux : c'est "getting better" un peu dans la lignée de "good day sunshine" sur "Revolver" avec McCartney à la barre donc et toujours lui ensuite sur "fixing a hole", belle ballade pop avec clavecin et guitare électrique un peu mordante. Paul nous dit qu'il "bouche des trous par lesquels l'eau s'infiltre" et qu'il "prend son temps pour des choses qui n'étaient pas importantes auparavant"... Bref, depuis l'arrêt des tournées, il est plus disponible. Et il l'est vraiment, son ascension et sa prise en main du groupe sont palpables sur "Sgt pepper". Et il est encore là pour le titre suivant -sans doute un de ses plus beaux- "she's leaving home". On est descendu progressivement vers de l'acoustique avec seulement ici de la guitare classique, une harpe et un quatuor à cordes pour une description réaliste du départ d'une jeune fille du domicile familial. C'est superbe et les quelques mots trouvés par Lennon et chantés par lui complètent admirablement ce chef d'oeuvre. Lennon, justement, revient pour clôturer cette 1ère face avec une ambiance de cirque et de fête foraine ou plutôt de réception puisque "being for the benefit of mister kite" est la description de ce qu'il y aura le soir même à la fête en l'honneur de Mr Kite. Musicalement, rien de révolutionnaire, mais c'est bien dans l'esprit du disque. Lennon est parti d'une affiche réelle contenant vraiment quelques ingrédients cités dans le texte et qu'il a développés. Les images qui me viennent à l'esprit sont celles de la fête nocturne donnée dans le roman d'Alain-Fournier "Le grand Meaulnes".
Réflexion, calme et sérénité pour débuter la 2ème face du vinyl avec Harrison aux commandes d'un morceau encore plus typiquement hindou que "love you to" : "within you without you" qui était souvent le moins usé sur le 33 tours ; puis McCartney revient nous expliquer comment il sera quand il sera vieux avec "when I'm sixty-four" et sa rencontre avec "lovely Rita", contractuelle qu'il essaie de séduire. Une étrangeté musicale arrive de la part de John avec "good morning, good morning" : cuivres, bruits d'animaux et chasse à courre sont au programme juste avant la fin : retour des bruits de foule et de la fanfare du sergent et reprise en plus rock du titre d'ouverture. Le spectacle est terminé... Mais il y a forcément un rappel et c'est la pièce maitresse du disque : "a day in the life", titre majoritairement de Lennon juxtaposé à une ébauche de McCartney. Les deux se marient à merveille et le splendide texte, imaginé à partir de la lecture de journaux et poussé parfois jusqu'au délire total, force le respect. L'orchestre classique de 40 musiciens a été mis à contribution pour les deux montées délirantes pendant lesquelles leur seule consigne était de partir le plus bas et de monter le plus haut sur leurs instruments respectifs !
George Martin a fourni un énorme travail pour organiser tout ça ; c'est le grand architecte du disque. Tous les sons et même les voix y sont trafiqués, modulés, filtrés. L'orchestre est là, des cuivres aussi, du clavecin, des bruitages. Les Beatles lancent la période psyché-baroque. Brian Wilson, après l'avoir entendu, l'estime insurpassable et sombre dans la dépression... Je préfère toujours "Revolver".
La pochette, vous la connaissez : costumes, personnages, fanfare, fleurs... Elle a coûté des sous et nécessité des autorisations de ceux qui y figurent, certains voulant même écouter avant de donner leur accord. Une des pochettes les plus connues.
Magical mystery tour (décembre 1967)
C'est encore un film, imaginé par nos quatre compères eux mêmes cette fois. Il partent tourner avec des comédiens, dans un bus, sans vraiment de scénario. Le résultat est une sorte de clip géant, tourné pour la télévision et diffusé pour Noël en... noir et blanc... alors que les couleurs sont primordiales (psychédélisme oblige.) Bref, c'est plutôt éreinté par la critique et sans doute avec raison. Brian Epstein, leur manager, est décédé en août 1967. Il avait moins d'importance depuis l'arrêt des tournées mais il assurait un côté cohésion pour le groupe. Suicide ou pas ? Mystère... Toujours est il qu'à partir de là, chacun des membres commence à élargir son propre domaine sans forcément demander l'avis des autres. Cela dit, pour l'instant, tout baigne. "Magical mystery tour" est dans la mouvance "Sgt pepper", pour une part enregistré pendant les mêmes séances (productives s'il en est) et à nouveau une idée de McCartney.
"Magical mystery tour" ouvre le bal comme "sgt pepper" en invitant de nouveau les gens, cette fois à embarquer dans le bus pour un brillant morceau, bien enlevé et soutenu par des trompettes tonitruantes. McCartney toujours, se calme pour le morceau suivant : "the fool on the hill", très beau avec sa flûte omniprésente ; un classique. Le titre suivant, en revanche, ne l'est pas. "Flying" est un instrumental signé par les quatre avec quelques sons de guitares étranges et des bandes passées à l'envers à la fin... aucun intérêt ! L'arrivée de George Harrison avec "blue jay way" me laisse perplexe... Bon morceau ou pas ? Je ne me décide pas... Une intro à l'orgue puis du violoncelle et c'est un titre calme et lourd que nous pond George, avec des influences hindoues et basé sur une histoire vécue par lui alors qu'il attendait des amis qui avaient perdu leur chemin à L.A. Paul revient avec "your mother should know", dans une ambiance très années 30 ou 40, qui rappelle un peu "when I'm sixty-four". Le texte est quelconque mais la musique intéressante ; la stéréo, elle, est bizarre et varie d'un couplet à l'autre... Le Lennon compositeur arrive enfin avec "I am the walrus" et ça valait le coup d'attendre : c'est un chef d'oeuvre de non-sens, d'humour et de rock avec violons, violoncelles et climat pesant. Styx en a fait une très belle reprise il y a quelques temps.
L'année 1967 est un peu compliquée au niveau discographique puisque les six titres que nous venons de voir constituaient un double 45 tours sorti début décembre pour illustrer le film. Il n'y avait pas matière pour un album entier d'où ce format étrange. Les Américains, eux ont sorti un album avec ces titres plus les autres 45 tours parus cette année là. Ce disque est devenu la référence et donc, je n'indique pas de morceaux hors album pour 1967 même s'il y en a. Les voici donc sur la 2ème face du vinyl d'époque (et évidemment sur le CD actuel). "Hello goodbye", de McCartney est un très bon titre de pop commerciale mais c'est n'importe quoi au niveau du texte : "tu dis oui, je dis non, tu dis stop et je dis allons-y"... Au secours ! Et c'était en face A du 45 avec "I'm the walrus" en B... Heureusement "strawberry fields forever" et "Penny Lane" suivent avec respectivement John puis Paul aux commandes : évocation de souvenirs dans les deux cas pour des ambiances très différentes, Lennon partant vite de nouveau dans le surréalisme. "Strawberry fields" est un collage de deux versions pour un résultat plutôt rock et "Penny Lane" est devenu le classique que vous connaissez. "Baby you're a rich man", co-composé par John et Paul est un peu tout fou avec une mélodie intrigante et des sons peu usités. Où veulent-ils en venir avec ça (même si ça me plaît bien) ? L'hymne de l'amour de cette année là clôt ce CD : "all you need is love". La musique est assez véhicule du propos mais c'est un authentique projet -bien que commandé par la BBC (qui ne savait évidemment pas ce qui serait livré)- Lennonien et Beatlesien qui fera date. Il est enregistré en partie en direct pour une émission de télé retransmise en mondovision dans laquelle les Beatles chantent sur une bande préenregistrée par eux quelques jours avant. Il y a plein d'invités célèbres qui participent à la fête et tout le monde se retrouve sur le disque au final.
Un album en très légère demi teinte mais qui ne doit pas être dissocié du précédent car tout vient du même tonneau. La pochette est quelconque mais le livret qui l'accompagne, avec des photos tirées du film, est sympa.
L'année 1968 est l'anti-thèse de la précédente en matière musicale en général. Le blues fait son revival et on cherche à éviter la luxuriance dans les arrangements. Les Beatles n'y font pas exception. Ils ont passé quelques mois en Inde à méditer et reviennent avec des démos acoustiques qui reflètent plus les envies de chacun qu'un travail en commun. Et je crois qu'il faut voir ce double album comme un essai des 4 pour voir ce qu'ils donneraient sans les autres même si pour l'instant ils sont obligés de travailler encore ensemble. Il y a des tensions entre eux et ça chauffe parfois mais le résultat discographique est énorme ! Tous composent dans tous les styles. On ne pourra pas tout détailler mais il y a là quelques brûlots incontournables de rock, voire de hard-rock : "back in the USSR", "birthday", "yer blues", "everybody's got something to hide..." et bien sûr "helter skelter" ! La basse est carrément tellurique sur ce morceau ; c'est de la percussion mélodique ! La basse d'une manière générale sur l'album d'ailleurs, apporte un sacré renouveau comme sur le monstrueux (dans le bon sens) « dear prudence » ou "happiness is a warm gun", tous deux de Lennon.
On l'a vu, il y a aussi beaucoup de morceaux plus intimistes : "Julia", "I will", "mother nature's son", "blackbird", "cry baby cry"... Très beaux titres souvent acoustiques qui parsèment les deux CD. On ne peut oublier le chef d'oeuvre d'Harrison "while my guitar gently weeps" sur lequel il convie Eric Clapton pour le solo déchirant (tiens... la basse encore sur ce morceau !) et ce titre de lui encore : "piggies", dans lequel il vilipende la haute société anglaise. Lennon règle ses comptes sur « sexy sadie » avec le gourou qui s'était occupé de leur enseigner la méditation : le Maharishi Mahesh Yogi, clown attiré par leur notoriété pour faire la sienne.
"Ob-la-di, ob-la-da" de Paul est dispensable car insignifiant et le "revolution 9" de Lennon est à proscrire si vous attendez de la musique : c'est un collage de boucles, sons, dialogues, bruitages... bref dans l'air du temps des remises en question.
Trente titres en tout, il en reste donc. Allez écouter, c'est un must mais ça peut être difficile à appréhender tant il y a de styles différents, reflets des quatre personnalités. Même la pochette est anti "Sgt pepper" : rien ! Que du blanc -c'est le "Double blanc" comme on l'appelle- avec quand même à l'intérieur 4 grandes photos individuelles et un poster avec paroles et collage de photos variées.
NDLR : Notez qu'à la suite d'une petite flemme devant l'ampleur de la chose et la peur de beaucoup rallonger le dossier, la chronique du "double album blanc" avait été ultra-rapide dans le dossier papier. François avait ensuite lavé l'affront avec une vraie chronique, disponible uniquement sur le site : ici
Yellow submarine (décembre 1968)
Encore une B.O. mais là c'est un dessin animé. Le contrat avait été signé du temps de Brian Epstein. Le scénario prévoit que les Beatles, ou plutôt les personnages animés qui les représentent, sont appelés à la rescousse pour venir débarrasser le pays de Pepperland des "blue meanies", méchants qui viennent de l'envahir. Ils traversent toutes sortes d'endroits étranges à bord de leur sous-marin jaune et finissent par triompher. Le voyage est donc prétexte à plein de scènes psychédéliques mises en musique. C'est très coloré et flashy comme pas mal de productions de l'époque et c'est en tous cas très réussi. Les Beatles devaient fournir au moins trois chansons inédites et c'est le cas puisqu'il y en a quatre. Le film contient beaucoup plus de morceaux mais l'album en présentait une sélection de six sur la face A du vinyl. La face B était constituée de titres instrumentaux, toujours extraits du dessin animé, composés et arrangés par George Martin sur un mode pas forcément éloigné des musiques agrémentant les Walt Disney : de la musique classique donc, avec en plus le côté foufou, décalé et bizarre et les clins d'oeil au répertoire des Fab Four.
En plus de "yellow submarine" et "all you need is love", déjà disponibles, on trouve donc "only a northern song" et "it's all too much" signés tous les deux par George Harrison. Ces titres ont en commun des arrangements un peu étouffants et parfois dissonants ainsi que la présence assez forte d'un orgue. Commencés en 1967, ils sont donc issus de la période "Sgt pepper" et ne sont pas transcendants. "It's all too much" est le plus intéressant des deux mais gâché par les arrangements évoqués même si les claquements de mains omniprésents et la caisse claire trafiquée apportent de la nouveauté sur ce titre de plus de six minutes. Cette durée est à noter car ici et sur le "Double blanc", on commence à dépasser les formats traditionnels de trois minutes trente maximum. "It's all too much" sera reprise quasiment à l'identique par Steve Hillage sur "L" et de façon plus personnelle par Journey sur "Look into the future" tous deux en 1976. Paul McCartney propose, lui, un "all together now" dont on se demande ce qu'il vient faire là ! Comptine enfantine, ce titre fait paraître "hello goodbye" pour un morceau intellectuel même s'il a sa place dans le film. Le dernier inédit est d'un tout autre calibre puisque John Lennon nous offre "hey bulldog", titre que je considère comme un de ses meilleurs. Enregistré en février 1968, c'est un rock (parfois dur) joyeux et très bien construit avec un riff de guitare imparable, une basse de nouveau très percutante et une complicité du groupe qu'on sent encore très forte -cf les rires et aboiements de la fin. Excellent malgré une stéréo un peu calamiteuse. Il faut posséder le disque rien que pour "hey bulldog" !
Jetez une oreille aux compositions de George Martin, ça vaut le détour si on se plonge dans l'ambiance qui rappelle parfois les musiques de Mancini pour les films « La panthère rose ».
La pochette présente évidemment des personnages et décors tirés du film.
Hors album 1968
lady Madonna", "the inner light", "hey jude", "revolution"
Bizarrerie... Il faut placer ici le dernier album du quatuor alors qu'il y en a un autre sorti avant, que nous allons décortiquer après. En fait cet ordre est logique puisque "Let it be" a été enregistré avant et qu'on ne peut comprendre l'histoire en suivant le calendrier des dates de sortie. Début janvier 1969 donc, alors que les deux disques précédents (dont un double) sont sortis depuis un peu plus d'un mois, les Beatles se retrouvent en studio pour une nouvelle idée de McCartney : les filmer en répétition en studio pour la création d'un nouveau disque qui se fera sans fioritures : pas de re-recording, des prises live, brutes... bref un album "honnête".
Mais voilà, ces quatre gars vivent dans les poches les uns des autres depuis dix ans, ne font plus de tournées et viennent de passer 1968 à voir un peu ce que donnent leur compositions plus ou moins en solo. Ils ont même travaillé avec d'autres musiciens en dehors du groupe. Ils aspirent donc à un peu autre chose et approchent de la trentaine avec un statut de superstars planétaires quoiqu'ils fassent. En fait ils ont besoin d'ouvrir la fenêtre et de laisser entrer de l'air frais et c'est ce qu'ils auraient dû faire : un break d'un an à faire autre chose. Au lieu de ça ils se retrouvent, et en plus devant des caméras qui tournent sans cesse ; ce n'est pas l'idéal pour la créativité et l'intimité d'un groupe. Il y a des bons moments mais aussi pas mal d'ennui et de longueurs et quelques engueulades sérieuses.
Fin janvier 1969, les séances se terminent et les bandes sont mises au placard en attendant mieux. Un an plus tard, Phil Spector est appelé pour tenter d'en faire quelque chose alors que le groupe n'existe officieusement plus. "Let it be" est donc le résultat dans un esprit encore un peu plus brut que "The beatles" sauf les titres spectorisés. Commençons par ceux-là justement : Spector ajoute son mur du son avec réverbe énorme, armée de violons et autres cordes diverses et... chorale de femmes. "The long and winding road" subi ce traitement au grand dam de son auteur McCartney. Le morceau lui-même est quand même sirupeux au départ même s'il n'est pas mauvais en soi. "Across the universe" de Lennon est noyé lui aussi mais le titre est bien meilleur et très représentatif de John et de son avis sur le monde. "I me mine" de George enfin est traité de la même façon. Bon morceau sur fond de valse-rock dans les couplets et rock pendant les refrains, mais ce n'est pas un titre intemporel. Le disque s'ouvre avec "two of us" co-composé par John et Paul, c'est rare à l'époque : guitares acoustiques, basse, batterie pour un morceau qui évoque leur jeunesse commune. Ils sentent peut-être confusément qu'on approche de la fin. "Dig a pony" est un chef d'oeuvre de non-sens Lennonien sur une signature rythmique atypique ; j'aime beaucoup. "Let it be" donne son nom à l'album, vous le connaissez tous. C'est bien mais un peu cul-cul. Un titre qu'ils avaient composé en 1962, "one after 909", refait surface ici. Pas mal, c'est du rock n' roll simple, carré. George propose aussi « for you blue », un titre bluesy avec un solo de slide de Lennon... Bof.
"I've got a feeling" est le collage d'un titre de Paul, le début, avec un de John, la fin. Rock dur, brut, puissant avec des passages hurlés. Un très bon morceau. Il reste à évoquer "get back", mondialement connu qui avait fait l'objet d'un 45 tours en avril 1969. C'est un rock bien mené qui ne réinvente pas la poudre mais qui la fait parler avec un texte écrit au départ pour se moquer des britanniques qui demandaient aux immigrés pakistanais de retourner chez eux. Les mots ont ensuite évolué même si le titre est resté.
Ce disque est vraiment bancal mais il a le mérite de la sincérité même s'il ne termine pas l'histoire sur la meilleure note. Lorsqu'il sort en mai 1970 en même temps que le film documentaire issu des séances de janvier 1969, le groupe n'est plus et aucun des protagonistes n'est présent à la première du film. A noter qu'il est magnifié par la remasterisation, on se croirait dans le studio.
Pochette quelconque avec quatre photos individuelles, c'est une première tout à fait révélatrice.
Après un petit break de trois semaines, les séances de studio reprennent pour continuer des morceaux écartés du projet "Let it be" ou bien pour mettre sur bande de nouvelles choses. A ce moment je pense que nos quatre gars, sans se l'avouer, savent que c'est la fin pour eux en tant que Beatles. Du coup, tout se passe beaucoup mieux. Ils rappellent George Martin qui avait été relégué au second plan pour "Let it be" et lui demandent de réaliser un nouveau disque. Martin y met les conditions : OK mais on bosse et on fait du travail soigné. Tout le monde est d'accord et le travail sera effectivement aux petits oignons ; le résultat est quasiment miraculeux ! Alors que l'empire se lézarde, attaqué par toutes sortes de vautours : financiers, avocats, actionnaires (n'oublions pas qu'Epstein n'est plus là), les Beatles utilisent leurs dernières cartouches musicales en voulant terminer en beauté. Jusqu'en août 1969, ils mettent en boîte ce qui sera un de leurs albums majeurs : "Abbey road". C'est le nom de la rue dans laquelle se situent les studios EMI où ils ont tout enregistré depuis 1962.
Le son du disque tout d'abord : c'est très propre, très élaboré. On est loin de "Let it be" ou "The Beatles". Un peu froid diront certains mais on change d'époque carrément. EMI s'est équipé avec de nouvelles consoles et ça s'entend. John Lennon tire la première salve et elle est superbe : "come together" est un rhythm and blues assez typé mais avec une instrumentation très aérienne, notamment grâce à Ringo qui effleure les toms et les cymbales. La basse est très présente et le solo de guitare de George emprunte le côté planant que peut avoir un Gilmour par exemple. George arrive ensuite avec ce qui sera son plus gros succès en tant que Beatles : "something" est un slow très bien ficelé et qui contient toute la délicatesse donc est capable le guitariste. Le titre fera l'objet de la face A d'un 45 tours et c'est donc une consécration pour Harrison -il était temps ! La partie de basse force le respect même si elle peut paraître trop envahissante. Dernière anecdote : Sinatra, apprenant sur scène la mort de Lennon en 1980, enchaîne un hommage et chante... "something". McCartney arrive ensuite avec "maxwell's silver hammer" dans la droite ligne de "your mother should know" deux ans plus tôt. C'est un peu anecdotique mais on note en revanche la première apparition d'un moog. Le bassiste est toujours aux commandes pour "oh darling", genre de ballade slow-rock dont on retient surtout les parties de guitare d'Harrison et le chant de McCartney : ce dernier est venu hurler le titre au studio pendant une semaine pour avoir la voix éraillée et c'est réussi. Le Ringo compositeur arrive pour un morceau qui peut apparaître comme une suite de "yellow submarine" : fonds des mers, loin des tracas terrestres, aspiration au calme. Simple comme M. Starr. La suite est d'une toute autre trempe : "I want you", titre de Lennon, dure 7:45 et ne contient que quatre phrases courtes répétées de nombreuses fois. C'est une ballade blues-rock assez dure dans laquelle chacun excelle sur son instrument habituel : quelle basse encore une fois et quelle guitare solo. Ringo n'est pas en reste, notamment sur la très belle partie finale. Sur cette longue fin, l'arpège d'intro est répété ad libitum -il ne dépareillerait pas sur un disque de prog d'ailleurs- et est voilé au fur et à mesure par un bruit continu, de plus en plus fort, pouvant évoquer le réacteur d'avion de « back in the ussr ». La musique s'arrête brusquement : Lennon avait dit au mixage "là, on coupe la bande là !" Magistral.
Harrison poursuit avec "here comes the sun" et ses arpèges de guitare folk, son moog, ses choeurs pour un titre très personnel et très beau du guitariste. Alors là, si vous voulez du chant, vous êtes servis avec "because", titre ultra calme signé Lennon : pas de batterie, pas de Ringo, c'est un enchevêtrement des parties vocales des trois autres. Tout est chanté tout le temps à trois. Il y a aussi de la guitare électrique, de la basse, du clavecin, du moog et du cor anglais. Les pistes chant sont disponibles sur le "Anthology 3" sans les instruments, c'est l'idéal pour apprécier le travail fourni qui est phénoménal. Un titre dans la lignée de "this boy" ou "yes it is" (voir la chronique "Past masters") mais puissance 10 !
Ensuite commence le premier des deux medleys qui terminent le disque. Plein de morceaux inachevés étaient en réserve, Paul et George Martin eurent l'idée de les enchaîner pour créer ces superstructures... "You never give me your money" débute l'affaire : McCartney y raconte des déboires financiers sans doute pas étrangers à la situation de leur label Apple : "tout le fric est parti, on ne sait plus où on va". Ce très bon titre est à tiroirs, préfigurant un peu le "band on the run" qu'il composera quatre ans plus tard. Un bruit de grillons fait le lien avec "sun king" de Lennon, un peu dans la lignée de "because". Les voix sont en effet de nouveau très importantes sur ce morceau très doux, avec des guitares un peu hawaïennes qui célèbrent une ode au roi soleil sur fond de contemplation extatique. Superbe ! Deux autres titres, de Lennon encore, arrivent ensuite avec "mean mr mustard" et "polythene pam" qui complètent la riche galerie de personnages entamée avec "Eleanor Rigby". Grâce soit rendue à George Martin puisqu'on ne sent pas le fait que le mélange des plages soit artificiel, ça coule doucement. Il est à noter que ces trois titres de Lennon sont plutôt composés dans un style McCartneyien... Etrange. "She came in through the bathroom window" clôt ce medley. Composé par McCartney, comme tout ce qui suit jusqu'à la fin du disque, ce titre qui a la pêche trouverait son origine dans les histoires vécues par les Beatles lors des tournées pendant lesquelles les fans essayaient par tous les moyens d'approcher leurs idoles.
"Golden slumbers"/"carry that weight"/"the end" forment le trio magique de fin d' "Abbey road". C'est le bouquet final. Les quatre sont là, un orchestre complet aussi, Ringo a un solo de batterie (accessibles aux débutants) et le chant principal sur "carry that weight" qui reprend un des thèmes de "you never give me your money" ; les trois autres se partagent un solo de guitare sur « the end ». Le message est clair et on vous le dit textuellement : c'est la fin et le poids sera lourd à porter pendant des années. La dernière phrase de Paul est magique et sera complimentée par Lennon : "au final, l'amour que l'on reçoit est égal à celui qu'on donne"... Peut-on terminer mieux une carrière comme celle-ci ?
Pour être exact, ce n'est pas tout à fait la fin : après vingt secondes de silence, "her majesty" démarre. Vingt-cing secondes d'un impromptu, de McCartney seul à la guitare acoustique, qui a l'air d'être là pour dédramatiser un peu. Les quelques phrases sont légèrement irrévérencieuses à l'endroit de la Reine (je n'ai pas dit quel endroit...) et c'est tout. Au départ ce titre figurait dans le medley 1 entre "mean mr mustard" et "polythene pam" mais son auteur ne l'aimait pas et avait demandé à un technicien de l'effacer. Les gens d'EMI ayant appris à ne jamais rien jeter même si on le leur demandait, le titre avait donc été placé en fin de bande, après "the end". En écoutant tout ça, Paul a finalement apprécié l'effet du blanc et de la chanson qui démarre en surprenant l'auditeur… L'ancêtre du morceau caché en quelque sorte.
La pochette ? Une des plus célèbres et des plus pastichées : les Beatles traversent le passage protégé, en file indienne en tournant le dos (tout un symbole) à leur studio puisque ça se passe juste devant. D'autres symboles seront utilisés sur ce cliché par les partisans de la théorie de la mort de McCartney mais c'est une autre histoire. Pour la seule fois de leur carrière, il n'y a ni leur nom ni le titre de l'album sur le recto. Tout est au verso.
Petite anecdote : il y a maintenant une webcam qui filme en permanence le passage en question et le trafic qui s'y déroule…
Hors album 1969-1970
"get back" (version différente), "don't let me down", "the ballad of John and Yoko", "old brown shoe", "let it be" (version différente), "you know my name (look up the number)"
Tout le reste est là, en deux CD : tout ce qui n'était pas sur les albums originaux. Ces morceaux avaient figuré, éparpillés, sur différentes compilations vinyles mais le regroupement présent était nécessaire. Tous les titres, que j'ai labellisés "hors album" dans les chroniques ci-dessus, s'enchaînent dans l'ordre chronologique.
"Love me do" démarre, c'est le premier 45 tours sorti début octobre 1962 avec Ringo à la batterie. Martin, peut convaincu au départ, avait enregistré une autre version avec un batteur de session et Ringo au tambourin. Cette dernière version est celle de l'album "Please please me". Suivent "from me to you" qui lança la beatlemania puis, parmi les faces B (attention : toujours dignes d'intérêt), les méga-tubes "she loves you" ou "I want to hold your hand" plus leurs versions en allemand "komm, gib mir deine hand" et "sie liebt dich". Ben oui, en allemand ! On leur avait dit que pour percer à l'étranger il fallait ne pas chanter en anglais. Ils l'ont fait une fois, connaissant un peu l'allemand pour avoir joué longtemps à Hambourg entre 60 et 62. "Can't buy me love" était arrivé et avait mis tout le monde d'accord : en anglais ça marchait partout ! Les brûlots rock "long tall sally", "I call your name", "slow down" et "matchbox" sont là ainsi que "I feel fine" avec son larsen d'intro -sans doute le premier sur disque. "This boy" et "yes it is" rappellent si besoin était, la complémentarité des voix de Lennon, McCartney et Harrison ainsi que ce dont ils étaient capables vocalement.
Un des meilleurs singles de l'histoire avec "day tripper"/"we can work it out" précède de quelques mois « paperback writer » / « rain ». Ces deux derniers titres, issus des séances de « Revolver » apportaient pour l'un les prémices du hard-rock avec une basse très présente et une guitare hargneuse et pour l'autre le début des expérimentations sonores psychédéliques. Tube de 1968, "lady Madonna" précède les autres gros succès de la même année "hey jude" (plus de 7 minutes avec son long final pour ce titre que Lennon considérait comme le meilleur de McCartney) et "revolution", version sur-saturée du blues du même nom figurant sur le "Double blanc". 1969 voir sortir « get back » dans sa version plus longue que celle de « Let it be » et « don't let me down » (tous deux joués avec Billy Preston aux claviers) ainsi que "the ballad of John and Yoko", uniquement jouée par John et Paul qui s'occupent de tout, et "old brown shoe", un bon rock sombre signé George Harrison.
Le 45 tours "let it be" ferme la marche avec le solo de guitare au son clair qui le différencie de la version album. La face B "you know my name (look up the number)" est un enregistrement dont les premières séances remontent à 1967 en plein "Sgt pepper". C'est un délire moquant les crooners de cabaret dans une ambiance jazz et sur lequel Brian Jones des Rolling Stones joue du saxo. Pas aussi barré que "revolution 9" mais plus loufoque.
François Albert
A l’heure où l’ère du format CD décline irrémédiablement au profit du téléchargement Internet, la discographie complète des Beatles reprend du poil de la bête grâce à sa remasterisation disponible depuis le 9 Septembre dernier.
Il aura donc fallu attendre 22 longues années pour bénéficier enfin d’une qualité sonore digne de l’œuvre. Les premières éditions en format digital de 1987 ont démontré qu’il était possible de faire du sabotage sous prétexte d’évolution technologique, au point que la qualité sonore des vinyles d’origine devait rester encore la référence (certains considèrent même que c’est encore le cas aujourd’hui !) Mais en dehors du gain incontestable que cette remasterisation aura apporté par rapport à l’édition 1987, le fait que l’intégrale soit aujourd’hui vendue en deux versions mono et stéréo séparées alimente un autre débat : faut-il préférer le mono au stéréo ?
Réponse : Ça dépend !
Car, si on se limite au prix d’achat, le coffret stéréo l’emporte haut la main : le coffret mono, en édition limitée, en plus d’être intrinsèquement plus cher que le coffret stéréo, n’est pas autosuffisant pour constituer une intégrale. Pour ce faire, il faut en effet acheter en plus du coffret, les trois seuls albums produits seulement en stéréo par les Beatles du temps de leur existence ("Yellow submarine", "Abbey road", "Let it be") et le "Past masters" stéréo présenté maintenant sous la forme d’un double CD. Et puis, il y a cette obligation d’acheter le coffret mono complet, même si l’on ne veut que quelques uns des albums en mono. Néanmoins, il est vrai que le coffret mono est un objet bien plus beau et plus pratique que le coffret stéréo. Chaque album se présente ici en format de type vinyl-replica totalement fidèle aux éditions d’origine qui ne peut que plaire aux fans qui ont connu les Beatles du temps de leur "vivant". Par contre, si l’on veut du contenu il faudra alors plutôt se tourner du côté des versions stéréo. Chaque album y est présenté dans un format digipack où les livrets sont richement dotés de photos, de textes d’explication d’ordre historique et technique particulièrement passionnants.
Mais, en tant que lecteur d’un fanzine consacré aux musiques rock et progressives vous êtes tous au minimum des amateurs du beau son. Ainsi, le seul critère prix ne suffit pas. Il vous faut en savoir en peu plus sur le contenu sonore des deux coffrets. C’est l’objet de cette rubrique.
Avant de parler des coffrets proprement dit, ou plutôt de leur apport sur des titres bien choisis, détaillons d’abord ce qui constituait l’intégrale Beatles avant leur arrivée.
Il s’agissait d’une boite en bois de couleur noire, genre boite à pain, où l’on trouvait exactement ce que propose aujourd’hui le coffret stéréo, c’est à dire les douze albums studio et les deux "Past Masters" qui rassemblent tous les titres parus hors album. Mais la grosse différence, en dehors de la piètre qualité sonore (je parle bien du fait qu’il s’agissait encore des éditions 1987), c’est que les quatre premiers albums ("Please please me", "With The Beatles", "A hard day’s night", "Beatles for sale") n’étaient disponibles qu’en version mono (alors qu’ils étaient sortis initialement à la fois en mono et en stéréo comme tous les autres albums qui suivirent jusqu’à "The Beatles" inclus). EMI, la maison d’édition des Beatles considérait à l’époque que le mixage stéréo de ces albums ne rendrait finalement pas service à la qualité de l’œuvre (ce qui n’est pas faux en soi, on aura l’occasion d’en parler). Les deux albums suivants "Help !" et "Rubber soul" auraient bien connu le même sort si George Martin, le producteur historique des Beatles n’avait pas remixé pour l’occasion les pistes stéréo.
Aujourd’hui, ce qu’il y a d’inédit c’est de pouvoir profiter de tous les albums en version stéréo. EMI a même poussé le souci du détail historique en ajoutant pour les albums "Help !" et "Rubber soul" leur version stéréo d’origine (sacrifiées en 1987 au profit du remixage stéréo de Martin qui est toujours proposé dans la version stéréo 2009) à la suite de la version mono.
Alors que doit on retirer de tout cela ?
La question qui vient tout de suite à l’esprit est "Quelles versions d’albums ou de titres en particulier ont le mieux bénéficié de cette remasterisation ?"
Pour la très grande majorité des cas, les deux versions se valent (on parle bien de qualité sonore) car, j’ai oublié de le préciser, les mixages mono et stéréo sont différents et n’ont pas été retouchés (c’est une remasterisation, pas un remixage). C’est flagrant sur certains titres.
L’argument de basculer une version stéréo en mode mono sur sa chaîne HI FI ne tient donc pas.
Voici donc une liste de titres ayant le mieux bénéficié de la remasterisation que ce soit en mono ou en stéréo. Notons d’ores et déjà que la stéréo dégage plus de puissance que le mono, alors que ce dernier offre l’authenticité du son des premiers vinyles avec une qualité sonore supérieure.
"Please please me" (1963) et "With The Beatles" (1963) restent plus écoutables en mono qu’en stéréo pour une simple question de confort d’écoute. Ecouter au casque des voix tout à droite et une batterie tout à gauche n’est pas très agréable. Il y a pourtant quelques exceptions comme "boys" ou "I saw her standing there" et surtout "money" qui a toujours bénéficié d’un excellent mixage stéréo. Du coté des titres marquants en mono, on citera par exemple "there's a place", "ask me why", "please Mr Postman", "little child".
"A hard day’s night" (1964) et "Beatles for sale" (1964) s’écoutent en revanche plus volontiers en stéréo car les voix et la batterie sont davantage mixés vers le centre. Le fait de posséder les versions mono ne semble donc pas indispensable. Parmi les morceaux gagnants de la remasterisation on citera "can't buy me love", "I’ll be back", "you can't do that", "Mr. Moonlight", "I don't want to spoil the party", "I'll follow the sun". Sans oublier deux des titres figurant initialement dans un EP sorti aussi en 1964 et disponibles sur le "Past Masters" long tall sally" et "I call your name".
"Help !" (1965) et "Rubber soul" (1965) ont chacun subi le même traitement de réverbération et de boost dans leur version stéréo lors du remixage de 1987 et c’est cette version là qui est encore proposée aujourd’hui. Mais quand on écoute la version mono augmentée de la version stéréo d’origine (donc sans reverb), il est clair qu’il faudra oublier le mixage 1987 (désolé Mr Martin !) au profit de la stéréo de 1965 pour "Help !" et la version mono pour "Rubber soul", ce dernier ayant malheureusement été marqué à l’origine par un très mauvais mixage stéréo (toujours cette fâcheuse histoire de voix trop à droite et batterie trop à gauche) ce qui est un comble, quand on sait que les albums de 1964 étaient mieux mixés. Même les nouveaux mixages 1987 de Martin n’y changeront rien. Une petite remarque au passage, les Beatles n’étaient impliqués que pendant le mixage mono, laissant à une équipe de technicien le soin de s’occuper du mixage stéréo. Alors qui sont les grands gagnants ? "You like me too much", "the night before", "ticket to ride" (mono), "yesterday" (mono), "norwegian wood", "think for yourself", "drive my car" (mono), "nowhere man" (mono), "run for your life" (mono). Enfin, on préférera la version mono de "day tripper" au son plus naturel que celui de la version stéréo, tout comme "paperback writer", marquant le début de l’année 1966 et que l’on redécouvre sous un autre angle en mono.
"Revolver" (1966) dispose d’un bon mixage stéréo à l’exception de quelques titres avec lesquels on aura plus de plaisir d’écoute en mono, à savoir "Eleanor Rigby" et "taxman". Le mythique "tomorrow never knows" en mono est aussi une véritable (re)découverte. Les morceaux gagnants (en stéréo) sont "here, there and everywhere" et "for no one", des titres assez calmes dans un registre acoustique. C’est un des atouts majeurs de ces remasterisations : les titres acoustiques sont sublimés.
Pour le cas "Sgt Pepper's lonely hearts club band" (1967), n’allons pas par 4 chemins. La version mono est indispensable. C’est une version alternative à celle de la stéréo, bien plus connue des jeunes oreilles. C’est LA grande révélation des remasterisations. On gardera tout de même la stéréo, au moins pour "within you without you" et "a day in a life". N’oublions pas "Penny Lane", toujours en stéréo, dont les orchestrations explosent à merveille.
"Magical mystery tour" (1967) n’a jamais bénéficié d’un bon mixage stéréo (encore une aberration). La version mono nous permet enfin de découvrir cet album sous un autre angle. Morceaux gagnants (en mono) : "flying", "blue jay way", "baby you’re a rich man".
A partir du "White album" (1968), les choses sont plus claires. La version mono est honorable mais la stéréo dégage une intensité inégalée dont les principaux bénéficiaires seront "helter skelter", "dear prudence", "long long long", "Martha my dear", "birthday", "yer blues". C’est l’album qui a sans doute (avec peut être "Beatles for sale") le mieux bénéficié de la remasterisation stéréo.
"Yellow submarine" (1969) n’est pas proposé dans sa version mono dans son intégralité. Par contre, "only a northern song", "all together now", "hey bulldog" et "it’s all too much" voient leurs versions mono rangées dans le "Mono Masters". Côté stéréo, seul "hey bulldog" sort son épingle du jeu.
Pour "Abbey road" (1969), c’est du 100% stéréo. Bizarrement, on ne sort pas très surpris par l’énergie libérée par la remasterisation. Elle y est présente, certes, mais pas de manière flagrante. Donc, pas de morceau gagnant pour cet album, désolé.
Enfin, "Let it be" (1970) voit les arrangements de Phil Spector sublimés à l’image du rendu exceptionnel d’un "the long and winding road" ou d’un "I me mine". On peut parler clairement de réhabilitation, n’en déplaise à Paul McCartney.
Vous voilà bien avancés maintenant, n’est ce pas ?
Si vous êtes déjà un fan des Beatles et que vous ne voulez pas télécharger illégalement, vous devez donc acheter le coffret mono (pas moyen d’obtenir les albums individuellement) et les quelques albums stéréo indispensables, voire carrément le coffret complet !
Bref, une fois de plus, vous allez vous faire enfler par EMI, qui n'a pas jugé utile de mettre sur un même CD les deux versions.
Tout cela donne furieusement envie d’acheter le coffret stéréo et de télécharger le coffret mono, non ?
Patrick Robinet
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