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The Beatles (novembre 1968)
L'année 1968 est l'anti-thèse de la précédente en matière musicale en général. Le blues fait son revival et on cherche un peu à éviter la luxuriance dans les arrangements. Les Beatles n'y font pas exception. Ils ont passé quelques mois en Inde à méditer et reviennent avec des démos acoustiques qui reflètent plus les envies de chacun qu'un travail en commun. Et je crois qu'il faut voir ce double album comme un essai des 4 pour voir ce qu'ils donneraient sans les autres même si pour l'instant ils sont obligés de travailler encore ensemble. Il y a des tensions entre eux et ça chauffe souvent -lire à ce sujet l'excellent bouquin de l'ingénieur du son Geoff Emerick- mais le résultat discographique est énorme ! Tous composent dans tous les styles mais il y a deux dominantes : le rock avec un son assez brut et l'acoustique.
Ça tonitrue sec pour ouvrir le premier disque avec un McCartney tout joyeux qui fait du Chuck Berry et du Beach Boys : « back in the ussr » et sa légendaire intro avec réacteur d'avion au décollage ! C'est du rock. Point. Ça renvoie un peu à leurs débuts, c'est très enlevé et primesautier... et c'est fondu-enchaîné avec tout simplement un des meilleurs titres de Lennon toutes époques confondues : « dear prudence » ! Superbe ballade un peu rock avec une guitare électrique en arpèges dont on ne retient que 2 notes entêtantes et envoûtantes. Signalons également le retour de guitares distordues -un peu laissées de côté depuis « Revolver »- sur ce titre et pas mal d'autres. Enfin McCartney offre à son compère une excellente ligne de basse... Respect ! La basse d'une manière générale sur l'album, apporte un sacré renouveau. On en reparle plus bas.
Tout de suite d'ailleurs avec le « glass onion » de Lennon ; là aussi la basse bastonne sur ce morceau dont le texte parle de certaines de leurs chansons passées : « strawberry fileds », « the fool on the hill », lady madonna », « i am the walrus ». Du bon rock ! Ce que n'est pas le titre suivant, l'irritant « ob-la-di, ob-la-da » de Paul que ce dernier a fait recommencer des dizaines de fois aux autres dans le studio. C'est de la variété pseudo-reggae que Lennon qualifiait de « truc pour grand-mère », c'est tout dire ! « wild honey pie » (1mn) sert de transition acoustique vers « the continuing story of bungalow bill » qui est une descente en règle de Buffalo Bill, de ce qu'il représente et peut-être en filigrane de la colonisation et du Vietnam ; le tout enveloppé dans une sorte de conte pour enfants. Yoko Ono, nouvelle compagne de John, auteur du morceau, y chante un vers de sa voix... euuuuuh... spéciale !
Le titre suivant, première apparition d'Harrison compositeur sur ce disque, est d'une toute autre trempe. C'est carrément LE morceau du guitariste taciturne. C'est dans la veine de « dear prudence » : ballade rock sur laquelle Eric Clapton, grand ami de George convié pour l'occasion, vient poser une guitare solo bluesy, plaintive et hargneuse de toute beauté. On se rappelle beaucoup de George avec les Beatles grâce à ce titre. A noter encore la basse de McCartney qui fait ici des merveilles. « happiness is a warm gun » arrive ensuite et le texte est tout sauf clair ! Pas grave, chacun y va de son interprétation. La musique, elle, est une juxtaposition très réussie de plusieurs thèmes pour ce titre globalement rock de Lennon dont McCartney dira que c'est son préféré sur le disque. Ceci clôt la 1ère face du 1er disque et on va trouver sur la 2ème beaucoup de titres où le compositeur principal règne en maître au niveau des instruments, se retrouvant parfois seul. C'est le cas de « martha my dear » dans lequel Ringo fait la batterie et Paul le reste sauf les cordes et les cuivres. Très beau titre en forme de ballade enjouée, avec un petit côté années 30, qui semble dédié à son chien de l'époque. John n'est pas en reste après ça puisque le voilà aux commandes de « i'm so tired » qu'on peut rapprocher de « i'm only sleeping » de « Revolver » mais là, il ne dort plus, il est fatigué ! La vie de Beatles doit lui peser et il le dit sur un rythme pesant : « je te donnerais tout ce que j'ai pour un peu de tranquillité. » Paul, complètement seul, apporte ensuite une folk-song (il y en a d'autres sur le disque) et c'est le très beau « blackbird » connu des amateurs de guitare picking. Le rythme y est donné par un métronome ! Tout le monde revient ensuite (enfin !) pour le « piggies » de George Harrison qui brocarde les bourgeois donneurs de leçons sur la jeunesse -en ébullition- de l'époque, sur fond de clavecin évoquant des palais luxueux, des perruques, des réceptions royales et tout le tintouin... Réussi. McCartney raconte ensuite une belle histoire comme il sait le faire : deux cow-boys se battent pour la même fille ; le tout évidemment sur un air de country qui s'enchaîne finalement bien avec la suite, country également, qui n'est autre que la première composition de Ringo -seul- pour les Beatles : « don't pass me by. » Bon, ça n'a rien de révolutionnaire ni même de très cassant. On peut noter un bon violon et on a l'impression d'être dans un saloon et que Lucky Luke va entrer. Geoff Emerick n'est pas tendre avec ce titre chanté par Ringo... Passons, et arrivons à « why don't we do it in the road » : Paul fait tout, peut-être même la batterie, dans ce titre rock un peu années 50. Le texte ne contient que deux vers répétés : le titre et « no one will be watching us »... On devine de quoi il parle. Paul, seul, folk, joie de vivre, optimisme et ballade caractérisent ensuite le très beau « i will » dont le pendant Lennonien arrive juste après... sauf qu'il faut remplacer évidemment Paul par John, joie de vivre par mélancolie et optimisme par résignation pour le titre « julia ». Lennon y évoque sa mère -renversée et tuée dix ans avant par une voiture conduite par un gendarme ivre- dans un très beau texte qui termine ce premier disque.
Ça redémarre comme avec « back in the ussr » : « birthday » est un rock joyeux qui carbure, voire qui bastonne ! Elaboré à partir d'un boeuf en studio, ce titre chanté par McCartney et Lennon fout la pêche. Le suivant, « yer blues » de Lennon est sauf erreur leur seul authentique blues et on y mesure encore une fois la différence d'univers avec celui de son compère : « yes i'm lonely, wanna die » n'est pas particulièrement gai... Mais le titre est bon et Lennon le jouera (très bien) avec Clapton, Keith Richards et Mitch Mitchell dans le film « Rock'n'roll circus » des Rolling Stones en décembre 1968. Le « mother nature's son » qui suit cette déprime organisée est le digne successeur de « fool on the hill » avec bien sûr Paul aux commandes et de nouveau aux guitares acoustiques. On rechange d'univers avec « everybody's got something to hide except me and my monkey » qui outre son titre long est un concentré d'énergie rock -voire pre-punk- composé par John et mené tambour battant par tous. Encore une fois la basse est assez carton, et c'est finalement plus le cas sur les titres de Lennon. C'est vraiment un excellent rock, j'aurais juste mis un chouilla moins fort la cloche qu'on entend tout au long, mais bon, je n'étais pas là au mixage...
Lennon règle ses comptes sur « sexy sadie » avec le gourou qui s'était occupé de leur enseigner la méditation : le Maharishi Mahesh Yogi, clown attiré par leur notoriété pour faire la sienne. La déception et le ressentiment sont très présents et dénotent l'espoir qu'avait mis le Beatle turbulent dans le mystique Hindou allumé. Il ne lui a pas pardonné sa tartufferie et le cloue sur cet excellent titre.
Hard-rock ? Metal ? Encore pre-punk ? Les trois à la fois ? Oui « helter skelter » est sans doute tout cela ! La basse est carrément tellurique sur ce morceau ; c'est de la percussion mélodique ! J'ai lu qu'elle serait peut-être jouée par Lennon... Possible, le style étant un peu inhabituel, mais peu importe, ça tue et c'est un morceau de McCartney ! Ce dernier avait entendu Pete Townsend indiquer que les Who venaient d'enregistrer leur titre le plus sauvage (faisant référence à « i can see for miles »). Paul ne l'a, à juste titre, pas trouvé si violent que ça et a décidé de relever le défi ; il l'a emporté haut la main. Quoi mettre après ça pour calmer le jeu à la fin de la 3ème face du vinyl ? Et bien George fournit « long, long, long » au climat très méditatif, tout en retenue, plein d'orgue, de calme, de volupté ; on ne pouvait pas trouver de contraste plus saisissant. L'a t-il écrite pour Dieu ? Sans doute ; en tous cas c'est très beau. « revolution 1 » entame la dernière face. On connaît plus la version rageuse façon hard-rock qui sortira uniquement en 45 tours mais ici c'est la version blues et lente qui sera d'ailleurs enregistrée en premier. C'est justement parce que les autres la trouvaient trop molle pour en faire un single que Lennon décidera d'en faire une version survitaminée. Premier texte politisé pour les Fab Four, dans l'air du temps de 1968, « revolution 1 » montre un Lennon qui ne sait pas s'il faut tout raser ou pas et qui demande plutôt au peuple de se prendre en main, de lui montrer ses solutions toutes faites pour voir si ça tient la route. C'est le début de sa période revendicative qui se poursuivra en solo jusqu'en 1972 en gros. Paul vient ensuite nous pousser une chanson très jazz-ragtime-années folles qui swingue plutôt bien avec ses clarinettes, ses violons, sa batterie jouée aux balais et un solo de guitare de... Lennon ! Le « savoy truffle » d'Harrison, inspiré par la lecture de l'étiquette d'une boîte de bonbons, est un rock très carré et plutôt de type américain. Il est renforcé par une grosse section de saxophones. L'égalisation est un peu étrange avec un peu trop d'aigus mais ça tourne bien.
John Lennon pilote les trois derniers morceaux du disque avec tout d'abord « cry baby cry » dont je me souviens toujours comme d'un titre acoustique alors qu'il ne l'est pas tant que ça ! C'est superbe avec un texte un brin surréaliste qui conte la vie de la famille royale du pays de Marigold sur un mode très britannique et 19ème siècle. Pour la suite, comment dire... Ce « revolution 9 », de Lennon donc, est à proscrire si vous attendez de la musique : c'est un collage de boucles, sons, dialogues, bruitages... bref là encore dans l'air du temps des remises en question. Plus de huit minutes très avant-gardistes que McCartney ne voulait pas trop voir sur le disque. Il en était peut-être un peu jaloux puisque lui-même réalisait déjà depuis quelques temps dans son coin de tels assemblages mais ne les jugeait pas comme devant figurer dans le répertoire des Beatles. Du coup Lennon, le prenant de vitesse, apparaissait comme précurseur à sa place. Le résultat est évidemment plus que dérangeant mais je me suis surpris plusieurs fois à l'écouter en entier...
C'est Ringo, seul, qui ferme le disque mais c'est bien un titre de John ! Etrange là aussi : c'est un numéro de crooner qui ne dépareillerait pas dans un Walt Disney ! Aucun de leurs instruments habituels n'est présent, Ringo chante (pas de batterie) mais il n'est pas vraiment seul : un orchestre classique de trente musiciens est là, plus les choristes, pour jouer l'arrangement mis en place par George Martin. Le dernier vers est susurré : « bonne nuit, bonne nuit à tous, à tous où que vous soyez, bonne nuit ».
Trente titres en tout : allez écouter, c'est un must mais ça peut être difficile à appréhender tant il y a de styles différents, reflets des quatre personnalités. Même la pochette est anti « Sgt pepper » : rien ! Que du blanc -c'est le « Double blanc » comme on l'appelle- avec quand même à l'intérieur 4 grandes photos individuelles et un poster avec paroles et collage de photos variées.
François Albert
PS : cet article est un complément au dossier paru dans le numéro 72 (Janvier 2010) de Koid9, consacré à la parution de la discographie remastérisée des Beatles
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