Five Fifteen : Alcohol (2007 - cd - parue dans le Koid9 n°63)
Avec huit albums et 23 ans d’existence au compteur, la formation finlandaise 5.15 est gentiment en passe de devenir une quasi institution en Scandinavie, et je ne serais pas surpris qu’un jour prochain les amoureux d’Helsinki prennent l’habitude de se donner rendez vous au pied d’une statue en bronze à l’effigie d’un rocker au torse et pieds nus, brandissant crinière blonde en arrière sa guitare vers le ciel ! Pour l’heure, il est néanmoins peu probable qu’un quelconque volatile parvienne à conchier son bouillonnant leader Mika Järvinen, tant le bougre a plus que jamais de l’énergie à revendre, cf l’édition 2006 de Crescendo pour les connaisseurs ! Tête d’affiche à Royan en 2005 avec 5.15, Mika était revenu en un an plus tard cette fois ci aux commandes de sa nouvelle formation, Crazy World ; la démarche avait laissé nombre d’entre nous perplexes, tant la filiation musicale entre les deux groupes était évidente. Mika n’avait toutefois pas annoncé la fin de 5.15, et il tient parole en lui donnant le 19 octobre prochain un nouvel et 9ème rejeton, "Alcohol"", chez Sweden Rock cette fois ci. Si l’on en juge par la (très gore) pochette du nouvel effort de Mika et sa bande de joyeux drilles, on se dit qu’effectivement l’excès de picole peut mener à des extrémités pas piquées de ver(re)s ! Pour les sceptiques, le nom du "modèle" figure d’ailleurs dans le livret, car nous précise Mika, le tatouage est bien réel ! Comme souvent dans ses œuvres, Mika aime à narrer le parcours de paumés pour mieux mettre en lumière le cynisme de nos sociétés occidentales. Il le fait néanmoins sans jamais basculer dans la pédanterie pratiquée par ces "chanteurs engagés" qui ont fait de la tiède dénonciation d’injustices, qu’ils n’ont jamais ne serait-ce qu’approchées, un fonds de commerce lucratif. L’arme favorite de Mika Järvinen reste en effet cet humour et ce second degré inoxydables dont il truffe tous ses textes, saupoudrés au passage d’une fine couche de jeux de mots ravageurs. Ainsi "alcohol" s’attaque-t-il aux poncifs de la soulographie ordinaire en narrant les aventures d’un chanteur/songwriter qui s’encourage à la dive bouteille … Attention, la musique n’est pas en reste. Bien au contraire, "Alcohol" est probablement l’un des albums les plus mélodiquement jouissif de Five Fifteen à ce jour. Pour accrocheuses qu’elles soient, les mélodies n’en sont pas pour autant simplistes ; soulignons également des arrangements de grande qualité et un équilibre très élégant entre les morceaux de ce concept album. Brève intro à la guitare sèche durant laquelle Mika présente de sa voix enjôleuse son personnage de rock star acculée à boire pour trouver l’inspiration et le courage de monter sur scène, puis on attaque dans le dur avec "next time to say good bye". Voix et guitare rageuses cette fois ci, notre héros se retrouve dans son élément naturel avec ses potes piliers de comptoir, avant de se réveiller un morne dimanche de novembre dans "partners in crime" avec la gueule de bois, accompagné par la syncopée clownesque d’un orgue Hammond. Le comique n’est jamais bien loin ! Un morceau comme on les aime, reposant sur le duo vocal Mika/Maikki Liuski. La voix de Maikki, la chanteuse de la formation, est proprement fabuleuse de pureté et de justesse. Associée au timbre attachant de Mika, tantôt conjointement ou se passant le relais avec un bonheur sans égal, il est difficile de ne pas frémir de bonheur à l’écoute de ce titre, notamment lorsqu’ils entonnent à l’unisson l’ironique refrain, "I am yours, you are mine, we are partners in crime" ! La quasi-totalité des morceaux étant construits sur le même mode, à savoir un duo vocal d’exception épaulé par une section rythmique assurée par Mikko Määttä à la basse et Hannes Pirilä à la batterie, les indispensables claviers de Juha Kuoppala (qui pour mon bonheur affectionne particulièrement le Hammond) et surtout l’excellentissime Matti Salovaara à la guitare, qui tantôt assure un rythme impeccable lorsqu’il ne nous gratifie pas de sublimes soli, nous tenons là un album définitivement très attachant. Le tout sonne très "rock seventies et eighties", comme sur l’intro de "delirium" dont les riffs de guitare rappellent les meilleures heures de Kiss. Au demeurant il s’agit sans doute du morceau le plus "brut de décoffrage" et le moins réussi rythmiquement, l’ensemble des autres chansons dont "gypsy" par exemple, appelant invariablement à battre la mesure du pied. Pour autant 5.15 sait souffler le chaud et froid quand par exemple il nous sert un magnifique slow à mi parcours avec le titre éponyme "alcohol". De même, Mika apposera une dernière fois, avant d’en finir avec cette cuvée 2007, sa voix suave et toujours aussi élégamment secondée par celle de Maikki sur le très bluesy "old hairy dogs almost dead". Que demande le peuple ? Un album plein d’allant, idéal pour enfouir les vestiges d’une journée de boulot harassante sous un manteau de groove, de joie et de rock de la meilleure eau. Santé, Mika ! Serge Llorente |