Flat122 : The Waves (2005 - cd - parue dans le Koid9 n°59)
Formé en mai 2002, ce nouveau groupe est un trio composé de Satoshi Hirata aux guitares, Takao Kawasaki au piano, synthé et divers samples et de Kiyotaka Tanabe aux percussions et batterie ; une invité, Akane Kobinata sera la voix des morceaux 1, 5 et 10, trois plages de 0min47 à 1min26 qu’elle a écrit. Ca démarre vraiment par le morceau éponyme ("the waves"), pavé de 15min40 composé par le clavier qui peut se situer aux confluents de musiques contemporaines, de prog, d’ambient, de jazz-rock, d’illustrations sonores de séries policières américains et de trucs barrés à la Isildur’s Bane où la guitare virevolte et incite le piano à de délicieuses frasques. Très riche et laissant rarement l’auditeur dans une fainéante écoute, ça rebondit, la patate chaude passe de main en main, se refroidit puis se réchauffe. Le niveau est impressionnant, mais à propos des japonais, il est maintenant superflu de le signaler, encore qu’abondance de biens ne nuit pas, dit-on. Même quand c’est apaisé, il y a plein de notes ou de sonorités à entendre. Mais leur faculté à enchaîner les thèmes et les atmosphères est assez bluffante, le tout est, selon moi, supérieur à la foultitude de groupes non nippons. Ici, on ne se contente pas de reprendre des recettes éprouvées, on invente, on improvise, on teste, on tente. Bien sûr qu’il y a des références, tel ce "néo classic dance" de 6min04 qui voit s’y magnifier une papardelle de compositeurs ou de musiciens, mais encore une fois, c’est la façon de prendre le truc, ce sentiment de faire progresser la musique, sans complexe, parce que connaissances et techniques il y a, cette façon de concevoir les notes et le rendu final, c’est devant cette façon d’être que je m’incline vraiment. On le dit tous, il n’y a rien de nouveau dans la musique, on s’ennuie, toujours la même chose, etc… Ecoutez juste cette approche-ci de la musique qui bien sûr n’occulte en rien ce qui s’est fait avant, mais je trouve que leur lâcher prise donne vie aux étincelles qui se créent dans cette confrontation permanente d’ego, leur volonté d’unité et d’affirmation artistique. Ainsi, "satie #1" écrit par le guitariste laisse la part belle aux délicats arpèges de piano avant d’entamer une descente inspirée d’une guitare carnivore. Court, 3min52, mais bel hommage. "The summer" est lui plus progressif et genesien ("colony of slipperman") mâtiné de The Enid, et d’un zeste d’incongruité pour ce jouissif moment. S’enchaînant avec "panorama" plus ELP, plus survolté, les sonorités vont de l’ancien à un défrichage moderne admis, nous entraînant dans du foutoir confortable et plaisant. "Dizziness" est peut-être le morceau où l’improvisation se ressent le plus pour un résultat dispensable, quoique la partie de percussions est plutôt remarquable. En début de "the winter song" (7min56), on trouve une imposante présence d’un piano tour à tour nouvelle vague, jazz, "contemporain" mais toujours avec plein de choses à raconter ou à revendiquer, témoin du passé et de son époque et toujours, évidemment, prolongement créatif de son propriétaire. Et ça, il faut l’admettre. Les japonais ont le droit au même héritage que nous. Ils l’ont plus que prouvé. Ils ont écouté et aimé les mêmes choses que nous, et ils ont été artistiquement construit tout comme nous, et aujourd’hui, laissent libre cours à leur sensibilité, leur créativité, et pourquoi faudrait-il que leur musique soit au final différente de celle que l’on produit. Et encore, qui pour la produire de façon si renouvelée et pourtant fidèle ? "Spiral" (13min48) est la magnificence du mariage entre le classique et le jazz-rock. Le morceau le plus long après "the waves" encore écrit par Kawasaki, le clavier. Beaucoup de guitaristes se sont confrontés à cet exercice du jeu néoclassique sur fond de jazz-rock mais rarement avec succès. Un catalogue d’effets tisse avec bonheur ces minutes de musique sans âge, concédant néanmoins bruitages "space" (d’où le titre ?) avec beaucoup de parcimonie. Manifestement, le but du jeu est toujours le même, faire évoluer la musique, confronter les différentes sphères ; cela demande forcément un effort mais personnellement, ça apporte satisfaction voire soin de l’âme quand vous croyez être en adéquation avec une œuvre artistique, de la musique ici, qui vous procure l’essence nécessaire au moteur qui vous est indispensable dans le mode de fonctionnement que vous avez choisi ou non d’ailleurs. Pour revenir plus terre à terre, je pense que l’on ne peut rester indifférent à ce CD, vous le prendrez comme un témoignage, ou une déclinaison d’une des formes artistiques les plus vieilles de l’humanité et vous lui réserverez une place méritée dans la liste de vos albums qui comptent… Attention chef d’œuvre! Bruno Cassan |