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Depuis plusieurs années, les trois premiers albums de Iona étaient indisponibles (déjà qu’on a toujours eu les plus grandes peines du monde à se les procurer par chez nous !). Parallèlement, Iona a décidé de s’autoproduire et "The river flows" est la premeière réalisation de leur propre label Open Sky Records (dont le nom est inspiré par le titre de leur dernier album studio en date).
Ce digibook pour 4 CD est assorti d’un livret central très luxueux de 60 pages, avec tous les crédits musiciens, des critiques des albums lors de leur sortie, quelques commentaires sur les morceaux et de très belles photos. Le son a été remastérisé et le premier album a été remixé, voire partiellement réenregistré tandis que le quatrième CD présente des inédits. De toute évidence, de quoi attirer raisonnablement les gens qui ont déjà les trois albums originaux.
Seul reproche : le groupe n’a pas reproduit ses paroles qui figuraient pourtant sur les albums originaux. Cela paraît d’autant plus étrange que les textes de Iona sont très importants. Puisqu’on parle des textes… Iona a été étiqueté de toutes sortes de façons mais parfois comme groupe de "rock chrétien" ! Ah, bon, parce qu’il y a une musique pour les Chrétiens et une autre pour ceux qui ne le sont pas ? Cette étiquette montre bien à quel point on se base parfois sur les textes plus que sur la musique elle-même pour cataloguer un groupe, ce qui est pire que tout… D’accord, les textes de Iona sont inspirés par la tradition chrétienne ou par des histoires en rapport, ils sont d’ailleurs souvent simples et très beaux mais cela ne vous donne aucune idée de leur musique.
Alors, si vous êtes novices à propos de Iona, et juste pour vous les situer, ce groupe irlandais souvent rattaché au folk est progressif sans aucun doute mais pas à 100% (mais Genesis l’était-il, même en 1972 ?!). Suivant les titres, on retrouve des morceaux instrumentaux plus ou moins complexes, new-age, des chansons pop, des hymnes solennels, des éléments de jazz-rock, de musique classique et bien sûr pas mal d’influences celtiques, ce qui les a fait souvent classer dans le genre… Iona est pourtant bien au-delà des étiquettes !
CD1 : Iona (1990 - 2002)
A cette époque, le groupe est officiellement un trio composé de Dave Bainbridge (le véritable mais discret leader du groupe assurant guitares, claviers, et mandoline), David Fitzgerald (flûtes et saxophones divers, clarinette) et Joanne Hogg (chant, piano et synthés). Parmi les nombreux invités, on retrouve Terl Bryant à la batterie, Troy Donocley (Uilleann Pipes et "whistles", Peter Whitfield (violon et alto), Tim Harries à la basse et un certain Frank Van Essen (percussion sur un titre) dont on entendra parler par la suite !
C’est sur ce disque que l’on voit le plus de différences par rapport à l’original. Le son, déjà très bon sur l’album de 1990, a été considérablement amélioré. Ce premier effort discographique de Iona est incroyablement professionnel. La nouvelle édition est aussi plus longue de 4mn30, certaines compositions ayant été rallongées, comme l’introduction "turning tide"complètement réenregistrée, ou encore le superbe instrumental "a’ machair" ui dépasse maintenant les 7 minutes et où la guitare électrique merveilleusement fluide de Bainbridge a pris de l’importance et conclut avec un des solos absolument magnifiques dont il a le secret.
La diversité de l’instrumentation et la polyvalence des musiciens permettait au groupe d’avoir dès le début des arrangements incroyablement riches et variés suivant les morceaux. Tout ce qui fait le charme de Iona est déjà là : très grand sens mélodique, technicité de haut niveau mais pas systématiquement mise en avant, voix superbe de Joanne Hogg, production impeccable et surtout, une sensibilité tangible… A côté des chansons assez pop, parfois un peu faciles mais très sympathiques ("dancing on the wall" "vision of naran", ou d’autres plus pastorales (l’émouvant "iona", on a la surprise de découvrir de nombreux instrumentaux de type progressif avec une tonalité un peu new-age (le fabuleux "columcille"concluant l’album), très originaux, voire un peu expérimentaux ou avec une touche classique plus moderne, des arrangements de synthétiseurs aux sonorités superbes et peu communes, (le long "trilogy"et sa longue période de tension latente), d’autres titres mêlant celtique, progressif digne de Camel et des traces de jazz-rock ("flight of the snow goose" le titre est pourtant un hasard !). Dave Fitzgerald utilise aussi bien des flutes irlandaises et chinoises que toute une série de saxophones (souvent le soprano), pas souvent d‘une façon jazz d’ailleurs. Troy Donockley contribue déjà pas mal, notamment en faisant des solos d’Uillean pipes couplés avec la guitare de Bainbridge ! Le groupe n’hésite pas non plus à faire des morceaux sans guitare, ou au contraire complètement basés dessus, électriques ou plus acoustiques, d’autres sans percussion, etc… Bref, tout est possible ou presque avec ce groupe et pourtant, il émane une véritable impression de cohérence de cet album, un tour de force pour une première production.
CD2 : The Book Of Kells (1992).
Le groupe est maintenant un quintet, Bryant étant intégré à part entière et Harries remplacé par Nick Beggs (ex-Kajagoogoo !) au Stick Chapman et à la basse 5-cordes, un instrumentiste lui-aussi exceptionnel.
"The book of kells" st un album-concept basé sur les Evangiles, l’un des albums les plus ambitieux du groupe. Sur 72 minutes entièrement enchainées, plus de la moitié sont instrumentales, notamment toute une suite centrale de plus de 25 minutes répartie sur 6 titres, où Dave Bainbridge joue presqu’exclusivement des synthés. Fitzgerald se concentre davantage sur toutes sortes de flûtes d’origine diverses que sur les saxophones. Ca n’empêche pas Joanne Hogg de nous ravir avec plusieurs chansons très puissantes aux mélodies inoubliables ("revelation" "kells" et le groupe nous sort une de ses grandes compositions à tiroirs dignes des meilleures du genre progressif : "Matthew – tte man" qui s’étale sur près de 13 minutes en trois parties avec encore une fois un solo de guitare électrique d’anthologie sur le final majestueux. Ce n’est pas l’album le plus facile d’accès de leur discographie car certains instrumentaux sont légèrement expérimentaux (ils décrivent la passion du Christ) mais la recherche musicale est absolument excellente. C’est probablement l’album le plus progressif des trois premiers.
La remastérisation permet d’apprécier toute la profondeur des parties instrumentales et la voix de cristal (en progrès) de Joanne. Le son éthéré de certaines compositions est absolument fabuleux. On se croirait dans une église… Magnifique.
CD3 : Beyond These Shores (1993)
Dave Fitzgerald a quitté le groupe (amicalement, comme toujours avec Iona). Il réapparaîtra avec Bainbridge pour l’album de musique sacrée "Eye of the eagle" en 1998. Il est remplacé par un certain Mike Haughton, lui aussi multi-instrumentiste. L’album est encore une fois un concept basé sur le voyage légendaire de Brendan… On y retrouve cette fois davantage de parties vocales et Joanne Hogg devient une très grande chanteuse. En plus des claviers, elle se met aussi à la guitare acoustique. On retrouve les invités de l’album précédant plus un autre assez inattendu : Robert Fripp !! Frank Van Essen est cette fois crédité sur un titre mais au violon soliste (!) tandis que la femme de Dave Bainbridge joue du hautbois et a composé un thème que le groupe fera varier sur plusieurs instrumentaux. L’album voit aussi l’intervention d’un quatuor à cordes sur plusieurs titres.
Les chansons sont superbes et les instrumentaux plus paisibles et plus splendides que jamais. Il y a quelques chansons "pop celtique" avec notamment le très entraînant "treasure" et une seule un peu dispensable, à mon humble avis ("burning like fire") .
Mention spéciale pour l’épique "bird of heaven" encore un long titre progressif de 9 minutes avec le plus beau solo de guitare électrique de Dave Bainbridge, qui confine ici au sublime. Une classe, un toucher et un feeling exceptionnels. A noter aussi l’émouvant morceau-titre en conclusion avec seulement les synthés, les violons et la voix éthérée et vibrante de Joanne Hogg : magique.
"Beyond these shores" est peut-être le meilleur album de cette trilogie des débuts et il dure encore près de 70 minutes ! Les mélodies et thèmes sont vraiment remarquables et on ne peut s’empêcher de penser qu’on a désormais affaire à un très grand groupe, bien au-delà du genre celtique… ou de quelque autre genre en fin de compte. Très beau et émouvant, tout simplement.
CD4 : Dunes (2002)
55 minutes d’inédits ou presque. La première partie reprend une musique écrite par Bainbridge et enregistrée en 93 pour le documentaire "Snowdonia". Elle est ici remixée et réarrangée sur 22 minutes en 8 parties presque entièrement instrumentales (seulement des vocalises). La guitare électrique soliste est rare, au profit des autres instruments : synthés somptueux, Stick, bouzoukis et guitares acoustiques, flûtes, Uilleann Pipes, harpe mais elle explose sur "dome of harlech" aux côtés du saxo soprano. On pense aussi à Steve Hackett ou à Gandalf pour ces harmonies violonisantes qu’utilise Bainbridge… Le piano et les synthés sont magnifiques et Troy Donockley et Mike Haughton rivalisent de finesse. "Snowdonia-realm of the ravens" à lui seul mérite déjà l’achat du coffret !
Le reste est constitué de deux raretés de 2000 très calmes en trio avec Hogg, Donockley (qui se met à la guitare électrique de très belle façon !) et Bainbridge, une avec le violon de Van Essen. Egalement des enregistrements de 2002 avec ce dernier (batterie et violon !) et Phil Barker (basse). Il s’agit de longues reprises des reels et des jigs, dont une autre version de "castlerigg" tiré d’ "Open sky" plus une chanson traditionnelle, jouées en concert (et notamment sur le live de 1997). A côté des trois morceaux très paisibles, les traditionnels celtiques revisités de manière peu formelle sont époustouflants de virtuosité ! Avec des solos ultra-rapides joués en duo par Bainbridge à la guitare et Troy Donockley aux Uilleann Pipes, soutenus par une section rythmique de grande classe qui se laisse enfin aller ! C’est un autre aspect du groupe, plus celtique et plus rock, définitivement très dynamique !
"The river flows" est un objet indispensable. Plus de quatre heures d’une musique belle, variée ET originale à la fois, parfois solennelle, parfois plus légère, interprétée avec beaucoup d’âme par des musiciens exceptionnels, avec en prime un son fantastique, une production d’une limpidité miraculeuse.
Une excellente introduction au groupe dans un packaging absolument superbe. C’est un nouveau départ pour Iona, et l’occasion de rattraper le temps perdu pour ceux qui ne les ont découverts que plus récemment ! Grand !
Marc Moingeon
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