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"C’est vrai que l’on ne parle pas assez de Manfred Mann’s Earth Band dans le Koid’9, une petite bio serait bienvenue". Ainsi parlait, non pas Zarathoustra, mais notre collègue Jo Drogo lors de son dernier paragraphe dans sa chronique sur le DVD "Angel station in Moscow" (voir Koid’9 n°57). A défaut de bio, la fée Cohesion (autrement dit la maison de disque appartenant à Manfred Mann) me permet d’exaucer son vœu puisque je vais m’empresser de vous décrire ce magnifique coffret qu’elle vient d’éditer.
54 titres ! Dont plus d’une trentaine inédits (ou en tout cas, dans ces versions) ! Les amoureux du mini-moog vont se régaler ! En effet, si Wendy Carlos avec son "switched on Bach" donna l’envie à Keith Emerson de se faire construire un synthétiseur bien spécifique dès 1968 par l’ingénieur Robert Moog (décédé en août l’année dernière), si tout le monde visualise parfaitement sa majesté Rick Wakeman revêtu de sa cape dorée et encerclé (ou cerné) par sa douzaine de claviers (dont 2 mini-moog) lors de ses premiers concerts avec Yes, c’est bien Manfred Mann qui fût le meilleur VRP de la société Moog pour populariser ce son si spécifique du synthétiseur mini-moog. Ce coffret résume en 4 CD l’intégralité de la seconde carrière de ce musicien hors pair (soit ces 35 dernières années) en nous faisant découvrir des morceaux inédits ou dans des versions différentes de celles éditées sur les albums officiels.
Manfred Lubowitz (son vrai nom) est né à Johannesburg et s’est intéressé très tôt à la musique via le jazz (Dave Brubeck, John Coltrane, Miles Davis). Quand l’Afrique du Sud quitte le Commonwealth, en désaccord avec le régime de l’apartheid qui s’installe, le jeune Manfred, âgé de 20 ans, s’en retourne vers l’Angleterre. Dans un camping de vacances, il rencontre en 1962 un certain Mike Hugg avec lequel il va fonder un orchestre de Rhythm & Blues qui s’appellera le Mann Hugg Blues Band. En 1964, après avoir écrit le thème principal de l’émission de télé "Ready Steady Go" (et placé leur titre dans le top 5 anglais), il va changer son nom en Manfred Mann. C’est sous ce nom qu’il va connaître ses premiers succès internationaux ("ha ha said the clown", "mighty quinn", etc…). En 1969, après avoir tâté de la musique de téléfilm ("The Gorge") et de film ("Up the junction"), la paire Mann/Hugg décide de former un nouveau groupe et de changer de direction musicale. Ce sera d’abord sous le nom de Emanon que ce groupe se produira en avril 1969. Puis, ils décidèrent d’opter pour Manfred Mann Chapter III. C’est sous ce nouveau patronyme qu’ils vont sortir en 1970 leur album éponyme, rapidement suivi du second intitulé "Volume two". Il faudra attendre 1972 pour que le groupe change une dernière fois de nom et sorte un nouvel album intitulé simplement Manfred Mann’s Earth Band.
Les 12 premiers titres du premier CD (intitulé judicieusement "In the beginning" - titre du deuxième morceau de l’album "Solar fire") sont donc extraits de cette période pré-Earth Band (de 1969 à 1971 pour ceux qui ne suivraient pas !). Et déjà, on compte 9 inédits au compteur ! Bien sûr, ce n’est pas la meilleure période du groupe. En effet, ces chansons mélangent allègrement influences folk, jazz, country, chansons traditionnelles et popisantes. Il est curieux d’entendre du sax alto et de la flûte (joués par Bernie Living) dans des titres de Manfred Mann mais je rappelle que le jazz faisait partie intégrante de ses influences majeures. Néanmoins, les apprentis archéologues seront heureux de découvrir les premières versions de "Tribute" (qui sera amélioré dans "Manfred Mann’s Earth Band"), "please mrs Henry" (chanson de Bob Dylan – déjà l’idée de reprendre à la sauce Manfred de bonnes chansons écrites par des song-writers célèbres ! - complètement revue sur "MMEB" puisqu'ici, c’est une version bluesy), "ashes to the wind" (remanié sur l’album "Glorified magnified"), "messin’ up the land" (repris dans l’album "Messin’ ") et "fish" (dont le thème principal sera redécouvert dans "Solar fire"). Tous ces titres auraient dû figurer dans deux albums non sortis dont les noms prévus étaient Manfred Mann Chapter III "Volume III" et "Stepping sideways". Les choses sérieuses se précisent à partir du 13e titre puisqu’on rentre dans la période Earth Band avec Mick Rogers – guitare et voix, Chris Slade – batterie, et Colin Pattenden - basse. On découvre le titre "joybringer" dans sa version de 1973 alors que ce titre figurera en 1987 sur l’album "Masque" et surtout le titre"in the beginning" où apparaît enfin le son si particulier du mini-moog.
Le deuxième CD (intitulé "Hollywood town") représente l’âge d’or et les paillettes de la célébrité avec son lot de tubes : "blinded by the light", "spirits in the night", "california", "hollywood town", etc. Au milieu de ces pépites, se cache de l’or en barre sous la forme de titres tels que "pretty good" ou "quit your low down ways" sortis seulement aux U.S. et ne figurant pas sur l’album original "The roaring silence", alors qu’ils n’auraient absolument pas dépareillé vu leur très grande qualité. Il est à noter que sur cet album de 1975, Mick Rogers fut remplacé par Chris Thompson aux vocaux et par Dave Flett à la guitare. Puisque ce coffret n’est pas un best of, mais, comme son nom l’indique, constitué de prises alternatives, rares ou manquantes sur les albums initiaux, on découvre ainsi un autre bijou : le single U.S. (édité à l’occasion des jeux olympiques américains) jamais sorti en Europe "runner"/"rebel" datant de 1984. Je comprends à son écoute que ce single soit monté dans le Top 20 U.S. car c’est du pur MMEB tel qu’on l’aime : énergique, mélodique, innovant (pour l’époque, puisque le son de la guitare est le même que celui de Trevor Rabin sur "owner of a lonely heart" – et ceci n’est pas forcément une coïncidence puisque avant de rejoindre Yes, Trevor Rabin avait placé quelques soli et coproduit l’album "Chance" en 1980) avec son moog envoûtant. Autre joyau, "summer in the city" (reprise du fameux titre des Lovin’ Spoonful) datant de 1987 et chanté par Mick Rogers (euh, oui, il était revenu dans le MMEB en 1986 pour l’album "Criminal tango" – c’est fou le nombre de groupes dans lesquels les musiciens viennent et repartent puis reviennent – et ce sera également le cas pour Chris Thompson un peu plus tard). Dire que le mini moog est encore une fois superbement utilisé commence à devenir banal mais ces sons sont tellement beaux… Et enfin, "salmon fishing" de 1991, instrumental relaxant pour finir ce CD avec en prime, une clarinette sur un tapis sonore constitué de piano, cymbales, harmoniques à la basse et de quelques voix dans le lointain, bref un morceau très éloigné du MMEB qu’on connaît mais très agréable.
Manfred Mann ne pouvait faire l’impasse sur ses origines sud-africaines. Aussi, le troisième CD contribue à nous faire partager son amour pour son pays. Intitulé "Brothers and sisters", la plus grande partie de ce CD s’articule autour de l’album "Somewhere in Afrika". Il commence par une version live de "redemption song", interprétée seulement par Chris Thompson et Manfred. On retrouvera plus loin une autre version de ce titre magnifiquement chanté par Shona Laing (et donc forcément différente de celle qui figure sur l’album). La même Shona vocalise également sur "I who have nothing" (single version inédite). On trouve également "war dream" face B du single "redemption song" (exemple typique de ce que l’on appelle une "face B", boîte à rythme, séquencer, bruitages divers, plus un Manfred aux vocaux ! Bref, le genre de morceaux dont on se passe allègrement !). "All through the night" (chanson de Cindy Lauper interprétée au chant par Gary Dyson enregistrée en 1988 entre les sessions pour l’album "Masque" et "Plains music"), "better place" (1996, composée par Rogers mais interprétée par Chris Thompson), "demolition man" (de Sting, interprétée live par Steve Waller et placée ici en son hommage puisque l’ami de Manfred a disparu en 2000) et enfin "martha’s madman" (live également mais interprétée en 1998 par les 3 chanteurs principaux du MMEB, à savoir Mick Rogers, Chris Thompson et Noël McCalla). Quant à la longue suite "africa suite", elle est placée au milieu du CD et compose le point fort et principal de ce troisième CD.
Enfin, on aborde le quatrième et dernier CD de ce coffret. Il est réservé aux morceaux les plus récents (de 1990 à 2002) et s’intitule "To the limit". Il contient 13 titres dont 12 n’étaient encore jamais parus ! En gros, ce sont les chutes des albums "Plains music", "Soft vengeance", et du dernier "2006" (sorti ironiquement en 2004 !). Certains titres ("geronimo’s cadillac", "tumbling ball", "nature of the beast", "pleasure and pain", "davy’s on the road again") vous sont, certes familiers, mais on les retrouve ici dans des versions complètement différentes de celles qui figurent sur les albums susnommés. On découvre aussi un "SOS" d’Abba entièrement transfiguré en live (enregistré à Disneyworld (!?), Paris). Curieusement, alors que c’est un CD pratiquement constitué d’inédits, il me paraît le moins intéressant du coffret. Si chacun de ces morceaux pris individuellement est correct voire même bon, aucun ne rivalise pourtant avec la qualité des morceaux enregistrés entre 1974 et 1986. Il faut dire que la plupart sont chantés par Noël McCalla et que la voix de ce dernier me procure moins d’émotion que celles de Rogers ou Thompson. Et puis, comme ces 3 derniers albums sont parmi les plus faibles de la volumineuse discographie du groupe, les chutes de ces albums sont forcément encore plus faibles.
Encore un mot sur l’objet proprement dit du coffret : celui-ci est agrémenté de photos, d’un rapide historique du MMEB et chaque titre bénéficie d’un commentaire écrit par Manfred. Autrement dit : un bien bel objet ! Peut-être difficile à trouver car son format (identique à celui d’un DVD) l’a fait ranger par les disquaires dans l’espace réservé aux coffrets ou autres objets insolites mais en tout cas en dehors des rayons habituels destinés aux CD.
En bref : coffret absolument indispensable pour tous ceux qui aiment (ou ont aimé) Manfred Mann’s Earth Band, un des groupes piliers de la musique progressive de ces 35 dernières années.
Gilles Masson
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