(605 mots dans ce texte ) - lu : 808 Fois
Rappelez-vous le premier Gordian Knot. Le son métal de l’album, ces guitares heavy et virevoltantes à la fois : c’était lui ! Mais Ron Jarzombek, c’est bien plus encore. Après l’aventure Watchtower, groupe texan mythique de techno-thrash (on ne parlait pas encore de metal-prog à l’époque) qui sortait en 1989 son deuxième album, le cultissime "Control and resistance" ; Ron lançait un nouveau projet du nom de Spastic Ink. Auteur d’un premier album instrumental intitulé "Ink complete" réalisé en compagnie de son frère Bobby à la batterie, il poussait à l’extrême la démarche de Watchtower : une musique ultra technique, basée notamment sur une complexité rythmique vertigineuse, exécutée avec toute la virtuosité requise tout en conservant la puissance inhérente au métal. C’est pendant une pause involontaire survenue dans le processus d’enregistrement du prochain Spastic Ink, baptisé "Ink compatible" et impliquant de nombreux intervenants (dont Daniel Gildenlow de Pain Of Salvation invité à chanter sur un titre) que Jarzombek, se trouvant désœuvré, a décidé d’enregistrer cet album. Un opus en solo qui prend ni plus ni moins des allures de manifeste du math-metal. J’emploie à dessein cette étiquette, au risque de faire dresser les cheveux des réfractaires aux cloisonnements systématiques et mercantiles. Effectivement, elle s’applique parfaitement au contenu de cette galette : 45 brèves plages instrumentales composées selon un schéma ou une formule prédéfinis et qui sont astucieusement enchaînés pour ne former qu’une seule et même pièce. Pour chaque morceau, on retrouve une rapide explication dans le livret : utilisation de motifs rythmiques spécifiques, combinaisons de notes associées suivant un codage alphabétique, progressions d’accords basées sur des suites mathématiques. Chaque instrumental trouve une signification rationnelle que Jarzombek s’amuse à énoncer avec force démonstration, renforçant au premier abord ce sentiment de musique hermétique et stérile. Cependant tout comme dans le titre à rallonge du CD, il faut voir la volonté de son auteur de ne surtout pas se prendre au sérieux. Notre homme pratique le second degré aussi habilement que sa guitare. Les crédits des musiciens ayant participé à l’enregistrement sont à ce titre révélateurs de son si particulier sens de l’humour : Là où, outre Jarzombek aux guitares, basse et programmations, un certain Roland Emessy I se charge des cordes et autres synthés et Dee Fore de la batterie et des percussions, il faut bien sûr voir l’emploi d’un synthétiseur Roland MCI et d’une boîte à rythme D4. Entièrement produit et réalisé par lui, le son reste globalement très convaincant, avec un bon équilibre des programmations (marimba, Hammond B3, piano, harpe et cordes) et des guitares. Pour leur part, les parties de batterie très fournies sonnent avec un réalisme incroyable pour des machines. Au final on obtient, non pas comme on aurait pu le craindre, un travail aux sonorités glaciales et au feeling inexistant mais un recueil de ce qui peut se faire de mieux dans le genre. Grâce à un savoir-faire déjà rudement éprouvé, Ron Jarzombek joue avec l’orchestration fournie par les programmations et brasse diverses ambiances : latino, jazz ou musique de cartoons se télescopent sur fond de grosses guitares affûtées sans négliger l’aspect mélodique nécessaire à son assimilation.
Bien que totalement réussie et de très bon goût, je ne conseillerais pas cette œuvre aux gens que la surenchère technique rebute, rasés par ce qui pourrait à première écoute leur paraître comme une ridicule démonstration gratuite (ce qu’il n’est définitivement pas) à l’usage des seuls musiciens. Ce "Solitarily speaking of theoretical confinement" dépasse largement le cadre du simple album de shredding en proposant une alternative originale au progressif boursouflé et redondant.
Eric Verdin
Temps : 0.0325 seconde(s)